Examen de la Loi sur la concurrence du Canada à l’ère numérique

Mémoire du Bureau de la concurrence

Le 8 février 2022

Table des matières

  1. L’objet de la Loi
  2. Examen des fusionnements
  3. Abus de position dominante
  4. Collaborations entre concurrents susceptibles d’examen au civil
  5. Cartels : Complot et truquage des offres
  6. Pratiques commerciales trompeuses
  7. Études de marché
  8. Questions transsectorielles

Introduction

Le présent mémoire répond à l’invitation du sénateur Wetston de commenter le cadre stratégique de la concurrence au CanadaNote de bas de page 1. Le Bureau de la concurrence (« Bureau ») est heureux de participer à ce processus.

Le Bureau est un organisme indépendant d’application de la loi qui protège la concurrence et en fait la promotion au bénéfice des consommateurs et des entreprises du Canada. Il est dirigé par le commissaire de la concurrence (« commissaire ») qui est responsable d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la concurrenceNote de bas de page 2 (« Loi ») et d’autres lois fédérales. En plus du Bureau, le Tribunal de la concurrence (« Tribunal ») et les tribunaux statuent sur les affaires en vertu de la Loi. Innovation, Sciences et Développement économique Canada élabore et coordonne les politiques, les lois et les règlements du gouvernement concernant la concurrenceNote de bas de page 3.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi en 1986, le monde a connu une révolution technologique. L’innovation effrénée des 35 dernières années a rapproché les peuples et a libéré une énorme valeur économique. Toutefois, la technologie a également entraîné une augmentation de la numérisation de l’économie. La nouvelle économie numérique a développé une classe de soi-disant « géants numériques ». Grâce à leurs actions consistant à recueillir et à négocier cette nouvelle richesse de données et à en bénéficier, les géants numériques ont obtenu un haut degré d’influence sur un large éventail d’activités économiques. Partout dans le monde, les gouvernements et les décideurs politiques ont remarqué ces géants numériques. Ils veulent s’assurer que les cadres stratégiques de la concurrence puissent suivre le rythme lorsque les consommateurs et la concurrence sont confrontés à un nombre relativement restreint d’entreprises puissantes qui sont au centre de l’économie numérique.

Il y a plus d’un siècle, la politique de concurrence est née en réponse à un groupe de « géants » qui exerçaient également un contrôle considérable sur l’économie. La politique de concurrence reconnaît que la concurrence est la meilleure façon d’assurer une économie dynamique, résiliente et productive. Les marchés concurrentiels donnent du pouvoir aux consommateurs. La concurrence pousse les entreprises à baisser les prix, à améliorer la qualité des produits et à innover vigoureusement. Elle attire de nouveaux investissements, favorise la croissance inclusive et alimente la concurrence des entreprises tant au pays qu’à l’étranger. Pour assurer la richesse et la prospérité des consommateurs et des entreprises, le Canada a besoin d’une concurrence accrueNote de bas de page 4.

L’invitation du sénateur Wetston à commenter le cadre stratégique de la concurrence au Canada offre une occasion importante de discuter des modifications à la Loi. Le Canada doit veiller à ce que la Loi puisse relever efficacement les défis d’aujourd’hui. Toutefois, cette discussion ne devrait pas se concentrer uniquement sur la réponse aux plateformes numériques. Il faut examiner de nombreux aspects de la Loi, comme en témoigne l’engagement du gouvernement à « [e]ntreprendre une étude approfondie des éléments législatifs et structuraux existants qui peuvent limiter ou nuire à la concurrence » au CanadaNote de bas de page 5. La Loi s’applique à toute activité économique au Canada. Le présent mémoire est fondé sur l’expérience du Bureau dans l’administration et l’application de la Loi à tous les secteurs de l’économie.

Le présent mémoire apporte des idées et des analyses à un dialogue continu sur la modernisation de la politique du Canada en matière de concurrence. D’autres idées pourraient émerger pour améliorer la Loi ou, plus généralement, le cadre stratégique de la concurrence au Canada. Par conséquent, le présent mémoire ne prédéterminera pas la position du commissaire dans toute enquête ou intervention en cours ou à venir en vertu de la Loi.

Le présent mémoire recommande de moderniser la Loi afin que les consommateurs et les entreprises canadiens puissent prospérer dans un marché concurrentiel et innovateur. Pour atteindre cet objectif, la Loi doit contenir les dispositions appropriées. Le commissaire a également besoin des bons outils pour s’assurer que les particuliers et les entreprises se conforment à la Loi dans un large éventail d’activités économiques. Ce n’est pas une mince entreprise. Le Bureau demeure concentré et motivé dans son rôle d’autorité responsable de la concurrence du Canada et attend avec intérêt un débat vigoureux et continu sur la meilleure façon d’atteindre ces objectifs.

1. L’objet de la Loi

La Loi vise à préserver et à favoriser la concurrence, reconnaissant qu’un éventail diversifié d’avantages économiques découle du processus concurrentiel. Plus précisément, la disposition de déclaration d’objet de l’article 1.1 de la Loi prévoit ce qui suit :

« La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne, d’améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d’assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l’économie canadienne, de même que dans le but d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits. »

Certains commentateurs se demandent si la clause relative à l’objet de la Loi, inchangée depuis 1986, demeure appropriée. Par exemple, le professeur Iacobucci estime que la clause relative à l’objet « comprend trop de choses » et est « dangereusement indéterminé[e] ». Il suggère que le fait de s’éloigner du cadre économique général de la Loi pour se concentrer sur la promotion de l’efficience économique apporterait plus de clarté et de prévisibilité à la LoiNote de bas de page 6.

Le Bureau s’oppose fermement à un tel changement. Entre autres, l’accent particulier mis sur l’efficience économique risque de rendre la Loi indifférente au bien-être des consommateurs, des petites et moyennes entreprises et d’autres groupes les plus vulnérables à la conduite anticoncurrentielle. Il supprimerait la souplesse accordée par la disposition de déclaration d’objet existante et risquerait donc de bouleverser des décennies de jurisprudence. Au bout du compte, on peut apporter à la Loi une plus grande clarté et une plus grande prévisibilité en abordant les autres questions mentionnées dans le présent mémoire.

1.1. La disposition de déclaration d’objet de la Loi devrait conserver sa perspective générale

La Cour d’appel fédérale a décrit la disposition de déclaration d’objet de la Loi comme « ordinaire ». Elle a reconnu que, « [a]insi qu’il arrive assez souvent dans ces dispositions, il n’est pas possible de répondre à tous les objectifs en même temps et ceux-ci ne sont pas forcément compatiblesNote de bas de page 7 ». Par exemple, l’arrêt d’un cartel de fixation des prix sur le marché intérieur pourrait entraîner une baisse des prix pour les consommateurs et une amélioration de l’efficience, mais pourrait n’avoir aucune incidence sur la participation du Canada sur les marchés mondiaux. Pourtant, une intervention est clairement justifiée pour préserver et favoriser la concurrence au Canada. D’après l’expérience du Bureau, lorsque les dispositions de la Loi sont considérées dans le but de préserver et de favoriser la concurrence, les objectifs énoncés dans la disposition de déclaration d’objet entrent rarement en conflitNote de bas de page 8.

La disposition de déclaration d’objet bénéficie de sa souplesse. Ses objectifs fournissent des exemples des types d’avantages économiques que la concurrence apporte et guident ainsi l’interprétation de diverses dispositions de la Loi. Fait important, la disposition de déclaration d’objet n’a pas empêché le Tribunal ou les tribunaux de reconnaître d’autres avantages qui sont compatibles avec ces objectifs. Par exemple, le mot « innovation » n’apparaît nulle part dans la disposition de déclaration d’objet, mais le Tribunal l’a qualifié de « type de concurrence le plus importantNote de bas de page 9 ». Ainsi, même si les prix compétitifs et les choix de produits sont expressément mentionnés dans la disposition de déclaration d’objet, la Cour suprême a reconnu un plus large éventail de dommages concurrentiels découlant de la puissance commerciale, à savoir la « capacité d’exercer avec profit une influence sur […] la qualité, la variété, le service, la publicité, l’innovation et les autres dimensions de la concurrenceNote de bas de page 10 ». Enfin, bien que seuls les « consommateurs » soient mentionnés dans la disposition de déclaration d’objet, le Tribunal a reconnu que les fournisseurs peuvent également être privés de prix et de choix concurrentiels lorsque les acheteurs obtiennent un pouvoir de marché par des moyens anticoncurrentielsNote de bas de page 11.

Il est logique que la disposition de déclaration d’objet de la Loi soit libellée de façon générale. C’est parce que le droit de la concurrence englobe un éventail plus large de valeurs économiques que simplement l’efficience. Par exemple, les cartels sont interdits non seulement en raison de leur tendance à réduire l’efficience, mais aussi parce qu’ils s’en prennent directement aux particuliers et aux entreprises et nuisent à leur bien-être économiqueNote de bas de page 12. En fait, le Bureau n’est au courant d’aucune administration dans le monde qui oriente son droit de la concurrence vers de l’efficience économique seulement, et qui exclut d’autres éléments importants comme le bien-être des consommateurs. Il serait particulièrement étrange au Canada d’exclure les consommateurs de la disposition de déclaration d’objet, étant donné les dispositions de la Loi portant sur les pratiques commerciales trompeuses, qui produisent des avantages importants pour les consommateurs.

La souplesse de la disposition de déclaration d’objet doit être lue conjointement avec les dispositions précises de la Loi, qui sont parfois restrictives. Par exemple, les complots entre concurrents visant à limiter les salaires des travailleurs et les possibilités d’emploi, bien qu’ils soient contraires à la concurrence, ne sont pas actuellement visés par les dispositions de la Loi sur les complots en raison du libellé précis de l’article 45Note de bas de page 13. De même, les exceptions relatives aux gains en efficience de la Loi pour les fusions et les collaborations entre concurrents peuvent faire décroître le poids de certains avantages de la concurrence parce que ceux-ci sont moins susceptibles d’être quantifiésNote de bas de page 14. Ces exemples de libellé législatif précis, et non la disposition de déclaration d’objet elle même, restreignent la capacité du Bureau à préserver et à favoriser la concurrence au Canada. Ces exemples et d’autres sont présentés plus en détail dans les sections qui suivent.

Recommandation 1.1 (Disposition de déclaration d’objet) : La modification de la disposition de déclaration d’objet risque de modifier fondamentalement la Loi, de bouleverser des décennies de jurisprudence établie et de menacer la capacité du Bureau de protéger les consommateurs et les entreprises d’une conduite anticoncurrentielle. La Loi devrait conserver son objectif actuel, soit de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans la poursuite d’un large éventail d’objectifs économiques.

2. Examen des fusionnements

Les fusionnementsNote de bas de page 15 sont un moyen par lequel les entreprises peuvent obtenir la capacité d’influer sur les résultats du marché au détriment des consommateurs, des autres entreprises et du processus concurrentiel. Bien que la plupart des fusionnements au Canada ne suscitent pas de préoccupations, le Bureau accorde une attention particulière à ceux qui pourraient créer, maintenir ou accroître une puissance commerciale, c’est-à-dire la capacité d’une entreprise d’influer sensiblement sur l’établissement des prix, le choix des produits, l’innovation ou tout autre facteur qui intéresse les consommateursNote de bas de page 16. Dans les cas où un fusionnement crée, maintient ou accentue une puissance commerciale, la Loi prévoit des recours pour corriger ces effets.

Toutefois, les dispositions de la Loi sur les fusionnements ont été interprétées de façon étroite, d’une manière qui risque de permettre aux entreprises de conclure des fusions anticoncurrentielles au détriment des consommateurs et de la concurrence. À l’heure actuelle :

  • la Loi peut permettre des fusionnements anticoncurrentiels lorsque les avantages privés du fusionnement l’emportent sur le dommage économique plus large du fusionnement;
  • l’exigence de prouver qu’un fusionnement concentré est susceptible de nuire à la concurrence n’est pas une utilisation efficace des ressources judiciaires, commerciales ou du secteur public;
  • les normes établies à partir de l’analyse des industries plus traditionnelles ne sont pas adaptées à l’évaluation des acquisitions de concurrents émergents dans l’économie numérique;
  • la norme de recours établie dans la jurisprudence ne rétablit pas la concurrence aux niveaux d’avant la fusion, ce qui permet aux parties fusionnantes d’accumuler une puissance commerciale et de nuire à l’économie;
  • la possibilité de suspendre temporairement l’achèvement d’un fusionnement en attendant l’issue d’une procédure devant le Tribunal est soumise à des normes juridiques qui ne sont pas pratiques;
  • la Loi n’accorde au commissaire que peu de temps pour contester un fusionnement;
  • certains fusionnements peuvent ne pas être détectés par le Bureau en raison d’échappatoires dans la Loi.

Une réforme législative est nécessaire pour traiter chacune de ces questions. Elle permettra de s’assurer que le régime canadien de contrôle des fusionnements demeure efficace et conforme aux pratiques exemplaires internationales.

2.1. Les gains en efficience ne devraient pas être privilégiés dans l’examen des fusionnements

Un contrôle efficace des fusionnements est essentiel pour que les Canadiens puissent bénéficier des avantages d’un marché concurrentiel. Les fusionnements anticoncurrentiels peuvent entraîner des conséquences négatives sur l’économie, notamment des prix plus élevés, moins de choix et des niveaux d’innovation plus faibles.

Les dispositions de la Loi sur les fusionnements visent à équilibrer les effets négatifs des fusionnements anticoncurrentiels sur les consommateurs et les entreprises canadiens avec les effets positifs potentiels des gains en efficience découlant de ces fusionnements. En 1986, le Parlement incluait une exception relative aux gains en efficience à l’article 96 de la Loi. Cette exception empêche le Tribunal de rendre une ordonnance corrective lorsque cela éliminerait les gains en efficience qui sont susceptibles de surpasser et de neutraliser le dommage concurrentiel causé par le fusionnementNote de bas de page 17. Dans ces circonstances, les entreprises sont autorisées à fusionner, même si le Tribunal a conclu que le fusionnement entraînera une hausse des prix, moins de choix pour les consommateurs, une diminution des niveaux d’innovation ou d’autres effets anticoncurrentiels.

L’exception relative aux gains en efficience soulève quatre problèmes importants. Plus précisément, elle :

  • permet des fusionnements qui sont préjudiciables aux Canadiens;
  • est incompatible avec les pratiques exemplaires internationales;
  • est difficile, voire impossible, à mettre en œuvre correctement;
  • découle d’une intention de politique publique originale erronée.

L’exception relative aux gains en efficience permet des fusionnements qui sont préjudiciables aux Canadiens

Pour comprendre l’exception relative aux gains en efficience, il est important de se concentrer sur les circonstances dans lesquelles elle est engagée. L’exception ne s’applique qu’une fois que le Tribunal aura conclu qu’un fusionnement entraînera vraisemblablement une hausse des prix, un choix moins élevé, une diminution des niveaux d’innovation ou d’autres effets anticoncurrentiels pour les consommateurs et les entreprises canadiens. À la suite de cette conclusion selon laquelle un fusionnement aura des effets nocifs, l’exception relative aux gains en efficience exige que le Tribunal compare ces effets anticoncurrentiels aux avantages privés que les parties fusionnantes peuvent tirer de la transactionNote de bas de page 18.

Quelle que soit la taille ou la portée des avantages privés découlant du fusionnement, un large éventail de consommateurs et d’entreprises canadiens sont lésés dans tous les cas où l’exception relative aux gains en efficience s’applique. Ces consommateurs et ces entreprises supportent maintenant le fardeau de la hausse des prix, de la diminution des choix et de l’innovation, alors que rien ne leur garantit qu’ils bénéficieront d’un avantage réel à la suite du fusionnement

Le véritable effet de l’exception relative aux gains en efficience a été de permettre des fusionnements dommageables dans l’économie canadienne. L’exception a justifié – et, si rien n’est fait, continuera à justifier – des fusionnements qui nuisent aux consommateurs, aux entreprises et au processus concurrentiel. Les avantages privés pour les parties fusionnantes accordés par l’exception relative aux gains en efficience sont financés par les coûts réels assumés par les Canadiens. Pour cette raison, l’exception relative aux gains en efficience ne devrait pas être conservée.

L’exception relative aux gains en efficience est une anomalie sur la scène internationale

La plupart des organismes internationaux de surveillance de la concurrence ont adopté une approche plus sceptique à l’égard des gains en efficience. Ces organismes ne permettent de procéder à de tels fusionnements que dans les rares cas où l’on peut démontrer que les gains en efficience profitent directement à la concurrence et aux consommateurs. À cet égard, l’exception canadienne relative aux gains en efficience constitue une anomalie sur la scène internationale. Le Canada est donc en contradiction avec les pratiques exemplaires généralement acceptées.

Les États-Unis, le plus important partenaire commercial du Canada, ne possèdent pas d’exception relative aux gains en efficience. Aux États-Unis, les organismes d’application de la loi envisageront des gains en efficience dans le cadre de leur évaluation des effets concurrentiels d’un fusionnement. Toutefois, pour que les gains en efficience ne soient pas déterminants, les parties à un fusionnement devront généralement démontrer que les gains en efficience sont tellement importants qu’ils « annuleraient la possibilité que le fusionnement nuise aux clients […] par exemple en empêchant les hausses de prix […]Note de bas de page 19 ». Ce traitement contrasté des gains en efficience au Canada et aux États-Unis a donné lieu à des situations où le Bureau a autorisé un fusionnement en raison de l’exception relative aux gains en efficience, alors que l’autorité américaine responsable de la concurrence a contesté le fusionnement avec succèsNote de bas de page 20.

L’approche américaine est conforme aux pratiques recommandées par le Réseau international de la concurrence (RIC) – un forum qui représente plus de 120 organismes de surveillance de la concurrence du monde entierNote de bas de page 21. On peut le constater dans les lignes directrices sur l’exécution de la loi pour les fusionnements de nombreuses administrations :

  • Commission européenne : Lorsque « les gains d’efficacité générés par l’opération seront à même d’accroître la capacité et l’incitation de l’entité issue de l’opération à adopter un comportement favorable à la concurrence au bénéfice des consommateurs et, par là même, de contrer les effets anticoncurrentiels », la C.E. peut décider qu’il n’y a aucun motif de s’opposer au fusionnementNote de bas de page 22.
  • Royaume-Uni : [TRADUCTION] « les gains en efficience doivent améliorer la rivalité d’une manière qui contrecarre les effets sur la concurrence […] Les gains en efficience dus au fusionnement doivent être susceptibles de renforcer la capacité et l’incitation de l’entité fusionnée à adopter un comportement favorable à la concurrence au profit des consommateursNote de bas de page 23. »
  • Australie : [TRADUCTION] « Un fusionnement qui élimine ou affaiblit les contraintes concurrentielles, dans la mesure où une diminution sensible de la concurrence en découle, contrevient (sauf si elle est autorisée) [à la loi] – même si le fusionnement donne lieu à une entreprise plus efficace ayant une structure de coûts inférieureNote de bas de page 24. »

Dans chacune de ces administrations, les allégations de gains en efficience sont considérées comme un facteur déterminant pour déterminer si un fusionnement est anticoncurrentiel. Au Canada, les allégations de gains en efficience peuvent permettre qu’un fusionnement se fasse malgré le fait qu’il soit anticoncurrentiel. Cette situation fait en sorte que la politique canadienne en matière de fusionnement est une exception aux pratiques exemplaires internationales en matière de contrôle des fusionnements. Elle expose également les consommateurs et les entreprises canadiens à un risque de dommage plus élevé qu’en l’absence de l’exception relative aux gains en efficience.

L’exception relative aux gains en efficience est difficile à mettre en œuvre correctement

Même avant que l’exception relative aux gains en efficience ne soit adoptée au Canada, de nombreux universitaires ont exprimé des doutes quant à la possibilité de mettre en œuvre une telle exception. À ce jour, l’analyse des gains en efficience est une entreprise incroyablement compliquée et coûteuse. Elle nécessite des volumes importants de données (quand de telles données sont même disponibles) et un grand nombre d’hypothèses à mettre en œuvre.

Lorsque le Canada a adopté l’exception relative aux gains en efficience, l’approche était novatrice et non testée. Même à ce moment-là, les chercheurs ont soulevé de sérieuses questions quant à savoir si une analyse des gains en efficience au cas par cas serait réalisable dans la pratique :

  • Neuf ans après la publication de ses travaux initiaux visant à établir le compromis sur les gains en efficience, Oliver Williamson a soutenu qu’il n’est pas [TRADUCTION] « […] faisable ou gratifiant pour les tribunaux de recevoir explicitement une défense économique nécessitant une évaluation de compromis complète ». Il a écrit que [TRADUCTION] « des problèmes opérationnels graves seraient posés si les tribunaux devaient prendre en charge une défense économique à part entière en rapport avec les fusionsNote de bas de page 25 ».
  • Richard Posner a fait remarquer qu’il [TRADUCTION] « est très difficile de mesurer les conséquences sur l’efficience d’une pratique contestée ». Il a tenté, dans ses travaux, de trouver des moyens [TRADUCTION] « d’éviter l’interdiction de pratiques efficientes, quoiqu’anticoncurrentielles, sans avoir à comparer directement les gains et les pertes de telles pratiques contestéesNote de bas de page 26 ».
  • Robert Bork a soutenu qu’une exception relative aux gains en efficience [TRADUCTION] « est une tentation à laquelle il faut résister, bien que sa vraisemblance superficielle donne à l’idée un certain attrait ». Il en est ainsi parce que [TRADUCTION] « les faits ultimes pertinents aux fins antitrust ne peuvent être perçus directement ou quantifiésNote de bas de page 27 ».

Malgré des améliorations significatives des méthodes économiques, les commentateurs continuent de noter les difficultés de l’analyse des gains en efficience aujourd’hui :

  • Herbert Hovenkamp explique que [TRADUCTION] « dans la plupart des cas, estimer les effets sur le bien-être des consommateurs est beaucoup plus facile que mesurer les effets généraux sur le bien-être qui nécessitent un compromisNote de bas de page 28 ».
  • Le conseil des politiques de concurrence de l’Institut C.D. Howe a fait remarquer que [TRADUCTION] « il est devenu difficile pour le Bureau et les parties fusionnantes de composer avec l’exception des gains en efficience pour les fusionnement en raison des exigences formalistesNote de bas de page 29,Note de bas de page 30 ».

Dans l’économie numérique, l’analyse des gains en efficience deviendra de plus en plus problématique. Le Tribunal a reconnu que :

« […] la concurrence dynamique est plus difficile à mesurer et à quantifier. En fait, lorsqu’il est question d’innovation, il n’y a pas toujours de preuves empiriques ou statistiques fiables, et le commissaire pourrait être obligé d’avoir recours à des outils et des instruments qualitatifs pour démontrer les effets concurrentiels de la conduite contestéeNote de bas de page 31. »

Ce facteur rendra la mise en œuvre d’un compromis sur les gains en efficience plus difficile dans les marchés hautement innovateurs.

Bien que le compromis sur les gains en efficience soit une création de la théorie économique, les universitaires, depuis 50 ans, ont exprimé des doutes quant à la capacité des tribunaux à l’appliquer dans le monde réel. Plus récemment, le Tribunal a reconnu que l’analyse des gains en efficience deviendra plus compliquée lorsque l’innovation et les effets dynamiques des fusionnements seront en jeu. Les questions pratiques liées à sa mise en œuvre rendent l’exception relative aux gains en efficience difficile, voire impossible, à invoquer comme pilier central du contrôle des fusionnements au Canada.

L’intention de politique publique originale de l’exception relative aux gains en efficience est erronée

L’exception relative aux gains en efficience visait à l’origine à aider les entreprises canadiennes à devenir plus concurrentielles à l’étranger. Comme l’a noté la Cour suprême du Canada dans Tervita :

« Une [exception relative aux] gains en efficience, d’origine législative, avait été jugée [TRADUCTION] “convenir particulièrement au Canada, car un marché intérieur modeste ne permet souvent qu’à quelques entreprises tout au plus de produire à des niveaux efficients, et les entreprises canadiennes doivent pouvoir tirer parti d’économies d’échelle pour demeurer concurrentielles sur le marché international”. Dans le contexte de l’économie canadienne relativement modeste, où le commerce international est important, le législateur reconnaît par [l’exception relative aux] gains en efficience que, dans certains cas, le regroupement est plus avantageux que la concurrenceNote de bas de page 32. »

Toutefois, l’exception relative aux gains en efficience s’applique à la fois aux entreprises qui participent aux marchés internationaux et à celles qui agissent uniquement au pays. Des parties fusionnantes ont profité de l’exception relative aux gains en efficience pour des transactions touchant uniquement les marchés nationaux et dans des cas où il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que les sociétés canadiennes deviennent plus concurrentielles à l’échelle internationale en raison du fusionnementNote de bas de page 33. En fait, les deux affaires de fusionnement instruites où l’exception relative aux gains en efficience a été déterminante n’ont touché que les marchés nationauxNote de bas de page 34.

Même lorsque les parties fusionnantes participent aux marchés internationaux, la restriction de la concurrence nationale ne favorise pas la productivité et la concurrence de l’économie canadienne. Dans son étude sur la concurrence internationale, Michael Porter explique que :

[TRADUCTION]
« la création d’une concurrence dominante à l’échelle nationale entraîne rarement des avantages concurrentiels sur le plan international. Les entreprises qui ne sont pas soumises à la concurrence à l’échelle nationale prospèrent rarement à l’étrangerNote de bas de page 35. »

D’autres études économiques ont abouti à des conclusions similaires sur l’importance de la concurrence nationale. Par exemple, William Lewis explique que :

[TRADUCTION]
« les progrès économiques dépendent de l’augmentation de la productivité, qui, elle, repose sur une concurrence impartiale. Lorsque les politiques gouvernementales limitent la concurrence […] des entreprises plus efficaces ne peuvent pas remplacer celles qui le sont moins. La croissance économique ralentit alors et la pauvreté perdureNote de bas de page 36. »

En outre, l’OCDE a récemment reconnu que :

[TRADUCTION]
« il est clair que les industries où la concurrence est plus forte connaissent une croissance de la productivité plus rapide. Cette tendance a été confirmée dans un grand nombre d’études empiriques, industrie par industrie, voire entreprise par entrepriseNote de bas de page 37. »

Le Canada ne devrait pas favoriser une politique qui permette la concentration. Au lieu de cela, il devrait promouvoir l’innovation et le bien-être économique par la concurrence, plutôt qu’aux dépens de la concurrenceNote de bas de page 38.

L’exception relative aux gains en efficience ne repose pas sur de solides fondements de politique publique. Conçue à l’origine pour aider les entreprises canadiennes à concurrencer leurs homologues étrangers, il a été démontré qu’elle agit à l’encontre du bien-être économique des Canadiens.

Les gains en efficience devraient être un facteur de l’analyse et non une exception à la Loi

L’exception relative aux gains en efficience n’est plus défendable. Elle permet des fusionnements qui sont préjudiciables aux Canadiens. Elle est incompatible avec les pratiques exemplaires internationales. Elle est difficile, voire impossible, à mettre en œuvre correctement. Elle découle d’une intention de politique publique originale erronée.

Cela ne veut pas dire que les considérations relatives aux gains en efficience n’ont pas leur place dans la politique canadienne sur les fusionnements. En effet, les gains en efficience sont l’une des raisons pour lesquelles les entreprises fusionnent. Toutefois, il n’est pas approprié de donner la priorité aux gains en efficience dans le régime canadien de contrôle des fusionnements.

Plutôt que de considérer les gains en efficience comme une exception qui permet des fusionnements dommageables, le Canada devrait s’harmoniser aux pratiques exemplaires internationales et intégrer plutôt les gains en efficience comme un facteur pouvant être pris en compte dans l’évaluation d’un fusionnementNote de bas de page 39. Un tel traitement permettrait une approche plus souple et plus moderne de l’analyse des gains en efficience. Elle éviterait également de protéger les fusionnements anticoncurrentiels simplement parce que les avantages privés peuvent subjectivement l’emporter sur les effets tangibles et prouvables d’un fusionnement.

Recommandation 2.1 (Exception relative aux gains en efficience) : La Loi peut permettre des fusionnements anticoncurrentiels lorsque les avantages privés du fusionnement l’emportent sur le préjudice économique plus large du fusionnement. L’exception relative aux gains en efficience devrait être éliminée, et les gains en efficience devraient plutôt être considérés comme un facteur lors de l’examen des effets des fusionnements.

2.2. Les présomptions structurelles simplifieraient et accéléreraient l’examen des fusionnements

Le paragraphe 92(2) de la Loi empêche le Tribunal de conclure qu’un fusionnement nuira vraisemblablement à la concurrence « en raison seulement de la concentration ou de la part du marchéNote de bas de page 40 ». Même lorsqu’un fusionnement crée un monopole, le commissaire doit prouver qu’il aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Le fait d’écarter la concentration du marché comme preuve suffisante du caractère anticoncurrentiel d’un fusionnement exige que le Bureau et le Tribunal consacrent des ressources importantes pour établir que de tels fusionnements nuiront, en fait, vraisemblablement à la concurrence.

Les États-Unis adoptent une approche différente de l’examen des fusionnements en utilisant des [TRADUCTION] « présomptions structurellesNote de bas de page 41 ». Selon cette approche, on se demande d’abord si un fusionnement augmentera sensiblement la concentration du marché. Lorsque c’est vrai, le fardeau de la preuve se déplace : ce n’est alors pas à l’organisme d’application de la loi de prouver qu’un fusionnement nuira vraisemblablement à la concurrence, mais plutôt aux parties fusionnantes de démontrer comment le fusionnement ne serait pas anticoncurrentiel. Cette approche n’est pas seulement logique, elle découle également de la conclusion économique selon laquelle les fusionnements sur des marchés fortement concentrés sont plus susceptibles d’être anticoncurrentiels. Depuis 1963, la jurisprudence américaine reconnaît que :

[TRADUCTION]
« […] un fusionnement qui produit une entreprise contrôlant une part indue du marché pertinent en pourcentage et qui entraîne une augmentation significative de la concentration des entreprises sur ce marché est à ce point intrinsèquement susceptible de réduire sensiblement la concurrence qu’il doit être interdit en l’absence de preuve démontrant clairement que le fusionnement n’est pas susceptible d’avoir de tels effets anticoncurrentielsNote de bas de page 42. »

Les présomptions structurelles simplifieraient et renforceraient le régime canadien d’examen des fusionnements. Il permettrait au Bureau et au Tribunal de concentrer les ressources et de procéder plus rapidement à l’examen des fusionnements. Pas plus tard qu’en 2020, le House Judiciary Subcommittee on Antitrust, Commercial and Administrative Law des États-Unis a convenu que ces avantages résultent de présomptions structurelles :

[TRADUCTION]
« en transférant la charge de la preuve aux parties fusionnantes dans les affaires concernant des marchés concentrés et des parts de marché élevées, la codification de la présomption structurelle aiderait à promouvoir l’allocation efficace des ressources des organismes et augmenterait la probabilité que les fusionnements anticoncurrentiels soient bloquésNote de bas de page 43. »

Les présomptions structurelles sont réfutables et sont loin de permettre de conclure que tous les fusionnements concentratifs sont problématiques. Même avec les présomptions structurelles, il faudrait quand même montrer que :

  1. le fusionnement augmente sensiblement la concentration et
  2. il n’y a pas suffisamment de forces compensatoires pour s’assurer qu’un fusionnement ne nuit pas à la concurrence.

Selon cette approche, la concentration seule ne détermine pas le dommage concurrentiel. Il met plutôt l’accent sur les éléments du marché qui, au bout du compte, déterminent l’incidence d’un fusionnement sur la concurrence. Cela aura tendance à simplifier les affaires et à économiser d’importantes ressources judiciaires, commerciales et du secteur public.

La Loi devrait reconnaître explicitement les effets néfastes des fusionnements qui contribuent de façon importante à la concentration du marché. Ne pas le faire conduit à des conclusions qui sont peu crédibles, à savoir que les parts de marché élevées seraient généralement de nature transitoire, ou ne seraient généralement pas indicatives d’entreprises ayant une puissance commerciale.

Recommandation 2.2 (Critère de concurrence) : L’exigence de prouver qu’un fusionnement concentré est susceptible de nuire à la concurrence n’est pas une utilisation efficace des ressources judiciaires, commerciales ou du secteur public. Des présomptions structurelles devraient être adoptées pour simplifier les cas de fusionnement en déplaçant le fardeau sur les parties fusionnantes, en les obligeant à prouver pourquoi un fusionnement concentratif n’aurait pas pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

2.3. La Loi devrait mieux traiter les acquisitions de nouvelles menaces concurrentielles

Une grande attention publique a récemment été accordée aux entreprises dominantes qui agissent pour « acheter ou tuer » de petites entreprises en démarrage afin d’« [empêcher] ainsi l’émergence de rivaux à l’avenirNote de bas de page 44 ». Lorsqu’un tel comportement comporte l’acquisition d’un concurrent émergentNote de bas de page 45, il pourrait être examiné en vertu des dispositions de la Loi sur les fusionnements. Toutefois, la jurisprudence récente impose au commissaire le lourd fardeau de démontrer qu’une telle conduite est, en fait, anticoncurrentielle. Cela met en doute la faisabilité de traiter efficacement les acquisitions anticoncurrentielles au Canada.

Dans une affaire récente, le Tribunal a établi le fardeau dont le commissaire devrait s’acquitter dans de telles affaires :

« Habituellement, dans le cadre d’une analyse des entrées sur le marché vraisemblables dans le passé, dans le présent ou dans l’avenir, le commissaire est censé fournir une preuve concernant la proportion du marché qui était, qui est ou qui sera vraisemblablement mise à la disposition des nouvelles entreprises. Dans le cadre de cet exercice, il incombe au commissaire de relever les débouchés concrets qui auraient vraisemblablement été, qui sont ou qui seraient vraisemblablement disponibles pour ces nouvelles entreprises. Autrement dit, le commissaire a le fardeau d’établir que de nouvelles entreprises seraient vraisemblablement entrées ou auraient vraisemblablement pris de l’expansion dans le marché pertinent, ou qu’elles l’auraient fait vraisemblablement, “dans un laps de temps raisonnable et à une échelle suffisante pour entraîner soit une réduction sensible des prix ou une augmentation sensible de la concurrence hors prix, à un ou à plusieurs niveaux, dans une portion sensible du marché”Note de bas de page 46. »

Pour obtenir une réparation, le commissaire doit disposer d’éléments de preuve suffisants pour prouver ces éléments selon la prépondérance des probabilités. Bien que cela puisse être possible dans une industrie traditionnelle, une telle tâche peut être particulièrement difficile, voire impossible, lorsqu’elle concerne l’acquisition d’une entreprise qui développe encore les produits qui feraient concurrence à ceux d’autres concurrents. Même lorsque c’est incertain, ou lorsqu’il n’y a qu’une faible probabilité qu’une entreprise émergente développe un produit concurrentiel, toute acquisition de cette entreprise étouffe complètement cette possibilitéNote de bas de page 47. Prédire l’avenir est difficile dans le meilleur des cas, mais cela peut s’avérer particulièrement problématique dans les industries caractérisées par un progrès technologique rapide.

Cette jurisprudence canadienne contraste fortement avec la jurisprudence des États-Unis. Dans l’affaire Microsoft, la Cour d’appel du D.C. Circuit a reconnu que :

[TRADUCTION]
« la question en l’espèce n’est pas de savoir si Java ou Navigator aurait réellement évolué en substituts de plateforme viables, mais (1) si, d’une manière générale, l’exclusion des menaces naissantes est le type de conduite raisonnablement capable de contribuer de manière significative au pouvoir monopolistique continu d’un défendeur et (2) si Java et Navigator ont raisonnablement constitué des menaces naissantes au moment où Microsoft s’est engagée dans la conduite anticoncurrentielle en causeNote de bas de page 48. »

Dans cette décision, le tribunal a en outre reconnu qu’il [TRADUCTION] « serait néfaste [au droit de la concurrence des États-Unis] de permettre aux monopoles de régner librement pour écraser à leur gré les concurrents émergents, quoique non prouvésNote de bas de page 49 ». Les tribunaux canadiens n’ont aucun pouvoir aussi prépondérant ou disposition dans la Loi leur permettant de protéger le processus concurrentiel. La Loi exige plutôt que le commissaire détermine, dans le contexte particulier de chaque cas, les « débouchés concrets » par lesquels l’entreprise émergente créerait une plus grande concurrenceNote de bas de page 50.

De même, les autorités internationales responsables de la concurrence cherchent des moyens de protéger les concurrents émergents et de leur fournir l’espace nécessaire pour s’épanouir dans de réelles menaces concurrentielles. Par exemple :

  • La Australian Competition and Consumer Commission (« ACCC ») a proposé des améliorations à la norme juridique à respecter pour les acquisitions de concurrents émergents. Dans ses modifications, l’organisme n’aurait qu’à démontrer qu’un concurrent émergent pourrait devenir un concurrent efficace des titulaires existants en se fondant sur [TRADUCTION] « une possibilité qui n’est pas éloignée ». Il s’agit d’une norme inférieure à celle de la prépondérance des probabilités qui nous est plus familière. L’ACCC a également proposé une [TRADUCTION] « disposition de présomption ». Cela interdirait aux entreprises ayant une puissance commerciale importante de faire des acquisitions qui ont pour effet de cimenter ou d’accroître cette puissance commerciale, sans exiger la preuve d’effets concurrentiels précisNote de bas de page 51.
  • Le gouvernement du Royaume-Uni a proposé un seuil d’intervention plus bas pour les fusionnements concernant des géants numériques. En vertu de ce seuil, la Competition and Markets Authority du R.-U. (« CMA du R.-U. ») serait en mesure d’intervenir pour mettre fin à un tel fusionnement chaque fois qu’il y a une [TRADUCTION] « perspective réaliste » que la concurrence soit sensiblement réduite. C’est, encore une fois, inférieur au seuil actuel de la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 52.
  • Aux États-Unis, une proposition législative permettrait aux autorités responsables de la concurrence d’intervenir lorsqu’il y a un [TRADUCTION] « risque appréciable » que la conduite d’affaires puisse [TRADUCTION] « sensiblement » diminuer la concurrenceNote de bas de page 53.

Ces exemples contrastent avec le cadre stratégique de la concurrence du Canada. Au Canada, les recours ne sont disponibles que lorsque le commissaire peut « relever les débouchés concrets » qu’un concurrent émergent est susceptible d’exploiterNote de bas de page 54. Cela peut être difficile, voire impossible, lorsqu’une entreprise développe encore les produits qui feraient concurrence à ceux d’autres concurrents.

Recommandation 2.3 (Norme de prévention) : Les normes établies à partir de l’analyse des industries plus traditionnelles ne sont pas adaptées à l’évaluation des acquisitions de concurrents émergents dans l’économie numérique. Une norme plus fonctionnelle offrirait une plus grande souplesse pour protéger le processus concurrentiel.

2.4. Les mesures correctives devraient éliminer tous les effets anticoncurrentiels

Des recours peuvent être obtenus lorsqu’un fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Toutefois, les modalités de cette mesure de redressement ne doivent être suffisantes que pour « rétablir la concurrence de façon qu’il ne soit plus possible de dire qu’elle est sensiblement inférieure à ce qu’elle était avant le fusionnementNote de bas de page 55 ». En outre, la jurisprudence ne permet que la mesure de redressement « la moins attentatoire » et qui soit conforme à la normeNote de bas de page 56. Par conséquent, une mesure de redressement en matière de fusionnement peut laisser un marché dans un état où la concurrence est encore diminuée ou empêchée dans une certaine mesure – ce degré ne peut tout simplement pas être considéré comme sensible.

Cela signifie que les parties fusionnantes peuvent résoudre les fusionnements anticoncurrentiels par des mesures de redressement qui réduisent tout de même la concurrence sur des marchés déjà concentrés. Par exemple, les mesures de redressement qui correspondent à la norme canadienne pourraient consister à remplacer un concurrent très efficace par un nouvel arrivant dont l’entreprise est construite à partir d’un ensemble de mesures de redressement contenant les biens moins attrayants des parties. En raison de cette norme, le commissaire a conclu des projets de consentement qui permettent une augmentation de la concentration sur les marchés touchés ou qui ont remplacé un concurrent fort par un concurrent plus faibleNote de bas de page 57.

La norme canadienne de redressement est en décalage avec celles des principaux homologues étrangers :

  • Aux États-Unis, les mesures correctives en matière de fusionnements sont conçues pour maintenir ou rétablir le niveau d’intensité concurrentielle avant le fusionnementNote de bas de page 58.
  • La Commission européenne exige que les engagements pris par les parties pour répondre aux préoccupations en matière de concurrence éliminent complètement les effets anticoncurrentiels du fusionnementNote de bas de page 59.
  • Le Royaume-Uni exige un résultat qui rétablit la concurrence au niveau qui aurait existé sans le fusionnementNote de bas de page 60.
  • Le Réseau international de la concurrence recommande qu’une mesure corrective maintienne ou rétablisse la concurrence susceptible d’être perdue à cause du fusionnementNote de bas de page 61.

En outre, la norme corrective prévue par d’autres articles de la Loi est plus conforme à ces pratiques exemplaires internationales. Par exemple, les recours prévus aux paragraphes 77(2) et 79(2) de la Loi doivent rétablir la concurrence. Même si la question visée par chacune de ces dispositions est une diminution sensible de la concurrence – semblable à la question visée par les dispositions sur les fusionnements – les normes correctives prévues aux articles 77 et 79 sont plus strictes.

La norme corrective canadienne actuelle applicable aux fusionnements donne lieu à des situations où les effets anticoncurrentiels d’un fusionnement ne sont pas complètement éliminés. Elle permet aux entreprises sur des marchés déjà concentrés d’obtenir un avantage concurrentiel plus élevé même si cet avantage concurrentiel a été jugé préjudiciable au bien-être économique du Canada. Cela place le Canada dans une position désavantageuse par rapport à ses homologues internationaux et fait en sorte qu’il est moins probable que les mesures correctives en matière de fusionnements au Canada atteignent l’objectif souhaité.

Recommandation 2.4 (Norme corrective) : La norme corrective établie dans la jurisprudence ne rétablit pas la concurrence aux niveaux d’avant le fusionnement, ce qui permet aux parties fusionnantes d’accumuler une puissance commerciale et de nuire à l’économie. La norme devrait être réexaminée pour s’assurer que les mesures correctives préservent l’état de concurrence antérieur au fusionnement.

2.5. Les normes d’injonction de fusionnement devraient être plus applicables

Les dossiers de fusionnement contestés sont des litiges commerciaux complexes. Il s’agit souvent d’une preuve documentaire volumineuse, de semaines de témoignages et de présentations orales, ainsi que d’analyses industrielles et économiques sophistiquées. À la suite d’une audience, le Tribunal et les tribunaux ont alors besoin de temps pour examiner attentivement les nombreux témoignages et la preuve dont ils sont saisis. Cette complexité signifie que la durée des dossiers de fusionnement entièrement contestés, comme la plupart des cas de concurrence, est généralement mesurée en annéesNote de bas de page 62.

L’article 104 de la Loi permet au Tribunal de rendre des ordonnances assurant la protection de la concurrence pendant la période où une demande plus générale sur le fond d’un fusionnement est entendue et tranchée. Cette mesure interlocutoire est essentielle au fonctionnement du système canadien d’examen des fusionnements. Elle peut empêcher les parties fusionnantes, au moment où le Tribunal examine le bien-fondé du fusionnement, de prendre des mesures qui entraînent une hausse des prix, une réduction du choix des consommateurs, une interruption de l’innovation ou tout autre effet anticoncurrentiel.

Toutefois, des décisions récentes remettent en question le caractère pratique de cette dispositionNote de bas de page 63. Ces décisions semblent ne laisser au Bureau que trois semaines pour :

  1. recevoir, organiser et examiner les grands volumes de documents commerciaux et de données nécessaires pour évaluer les effets probables du fusionnement;
  2. diffuser ces renseignements auprès des experts et leur demander de présenter des rapports sur les effets probables du fusionnement;
  3. incorporer ces renseignements dans sa propre analyse, et
  4. être en mesure pour le commissaire de déposer des documents d’injonction auprès du Tribunal, potentiellement entre autres tâches.

Après que le Bureau a déposé une telle demande, les parties fusionnantes et le Tribunal n’ont qu’une semaine au total pour répondre à la demande et statuer sur celle-ci. Ces échéanciers et la complexité des normes d’injonction connexes imposent un fardeau considérable au Bureau, aux parties fusionnantes et au Tribunal.

Les injonctions jouent un rôle important dans la protection de la concurrence

L’examen des fusionnements suit un processus standard. Pour les fusions devant faire l’objet d’un avis, il est interdit aux parties fusionnantes de mettre fin à leur fusionnement pendant 30 jours après avoir déposé leur avis préalable au fusionnementNote de bas de page 64. Au cours de cette période de 30 jours, le Bureau peut demander à une ou à plusieurs des parties fusionnantes de fournir des renseignements supplémentaires pertinents pour l’évaluation du fusionnement par le commissaire. Si cela se produit, il est interdit aux parties de conclure la transaction jusqu’à ce qu’une période supplémentaire de 30 jours s’écoule après la date de réception des renseignements par le commissaireNote de bas de page 65. La demande du Bureau pour obtenir des renseignements additionnels est communément appelée demande de renseignements supplémentaires (« DRS »).

Dans le cadre de ce processus, le Bureau cherche à déterminer s’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Pour prendre cette décision, le Bureau est souvent tenu de recueillir et d’analyser des volumes importants de documents et de données d’affaires des parties fusionnantes et de tiers, comme d’autres concurrents, des clients importants et des fournisseurs. Néanmoins, le calendrier de ce processus est régi par la date à laquelle le commissaire reçoit les renseignements demandés dans la DRS. À partir de ce moment, le Bureau n’a que 30 jours pour examiner l’information, l’intégrer à ses analyses et finaliser ses conclusions sur le bien fondé d’un fusionnement proposé.

Toutefois, lorsque le commissaire conclut que le fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, le simple fait de déposer une demande d’ordonnance corrective auprès du Tribunal n’empêche pas automatiquement les parties fusionnantes de terminer leur fusionnement. Si le commissaire estime qu’il est nécessaire d’empêcher la clôture d’un fusionnement, il doit également demander une injonction au Tribunal en vertu de l’article 104Note de bas de page 66.

Il peut être important d’empêcher un fusionnement de se conclure. En l’absence d’une ordonnance du Tribunal, les parties sont libres de conclure leur fusionnement à l’expiration du délai de 30 jours suivant la réception des réponses de la DRS. Une fois le fusionnement terminé, les parties au fusionnement cessent d’être des concurrents. Elles peuvent commencer à intégrer leurs entreprises et agir comme une entité unique. Dans la mesure où le fusionnement permet à l’entité fusionnée d’augmenter les prix, de réduire le choix des consommateurs, de prévenir l’innovation ou d’avoir tout autre effet anticoncurrentiel, ces effets peuvent commencer à se faire sentir immédiatement et peuvent être irréversiblesNote de bas de page 67. En outre, la prévention de la conclusion offre la plus grande marge de manœuvre pour créer des recours efficaces. En effet, elle tend à préserver la qualité des actifs à l’emploi des parties fusionnantes si une mesure corrective s’impose. C’est dans cette perspective que le commissaire a récemment qualifié l’examen des fusionnements comme « la première ligne de défense pour protéger la concurrence dans l’économie canadienne ». Il a fait remarquer que « le Bureau doit pouvoir prendre des mesures rapides et efficaces pour protéger l’intérêt publicNote de bas de page 68 ».

La jurisprudence récente impose des normes élevées en matière d’injonction

Toutefois, dans des cas récents, l’obtention de ces injonctions nécessaires s’est avérée difficile. À une époque où l’examen des fusionnements devient de plus en plus complexe, cela crée un problème important pour l’intérêt public et l’administration de la justice. Même si le volume de renseignements dont dispose le Bureau n’a jamais été aussi élevé, les exigences du Tribunal à l’égard du commissaire de fournir des déclarations de témoins, des modèles économétriques, des rapports d’experts et d’autres formes détaillées de preuve, même si ce n’est qu’à titre [TRADUCTION] « d’estimations approximativesNote de bas de page 69 » à une étape initiale de la procédure peuvent nuire à l’intention de fournir des injonctions.

À titre d’exemple, il suffit d’examiner la demande la plus récente du commissaire en vertu de l’article 104. Dans cette affaire, le Tribunal a rejeté la demande du commissaire, malgré la conclusion selon laquelle le fait d’autoriser la conclusion du fusionnement aura vraisemblablement pour effet de causer un dommage irréparable, parce que le commissaire n’a pas fourni d’estimations empiriques de ce dommageNote de bas de page 70. Fournir de telles estimations empiriques est une tâche difficile qui nécessite souvent une analyse quantitative sophistiquée pour laquelle les données sous-jacentes nécessaires ne sont pas toujours disponibles. Une telle analyse exige également des parties fusionnantes qu’elles répondent par une contre-preuve sophistiquée. De plus, le Tribunal aura pour tâche d’examiner ces éléments de preuve contradictoires et de rendre une décision finale. Ces facteurs ont tendance à rendre les demandes d’injonction plus difficiles à présenter, à débattre et à décider.

Dans cette même décision, le Tribunal s’attendait également à ce que le commissaire dépose une demande d’injonction au moins une semaine avant l’expiration du deuxième délai d’attente légal de 30 joursNote de bas de page 71. Cela a pour effet pratique de raccourcir cette période de 30 jours à 23 jours maximum. En réalité, une partie du temps que le Bureau consacrerait à cette période de 23 jours serait détournée de son enquête et serait réorientée vers l’organisation de la preuve et le dépôt de documents d’injonctionNote de bas de page 72. Le Bureau dispose déjà de peu de temps pour intégrer l’information nouvellement reçue dans son analyse des fusionnements qui soulèvent des questions importantes. Cette période encore plus courte compromet gravement la capacité du commissaire de demander et d’obtenir des injonctions, même si le tribunal souscrit entièrement à l’analyse du Bureau. En d’autres termes : la Loi, dans ces circonstances, pourrait être incapable de protéger les consommateurs canadiens contre les effets anticoncurrentiels. Ce n’est pas parce que ces effets sont impossibles à prévoir, mais parce que la jurisprudence a établi une norme élevée que le commissaire doit surmonter.

Enfin, la décision récente du Tribunal d’incorporer une analyse semblable à celle des gains en efficience à son analyse de l’injonction provisoire en vertu de l’article 104 ajoute à ces difficultésNote de bas de page 73. Le commissaire doit donc fournir des estimations quantitatives des effets anticoncurrentiels du fusionnement dans la demande d’injonctionNote de bas de page 74. Lorsque de tels éléments de preuve peuvent même être établis de manière fiable, ce qui n’est peut-être pas toujours le cas, pour ce faire, il faut souvent investir des ressources importantes, tant en ce qui concerne le personnel du Bureau que les experts économiques. Pour souligner davantage la difficulté associée à ces tâches, il convient de noter que deux avocats canadiens dans le domaine de la concurrence ont récemment remis en question le fait que la décision [TRADUCTION] « puisse avoir pour effet pratique d’empêcher le commissaire d’interdire un important ensemble de fusionnementsNote de bas de page 75 ».

Les parties fusionnantes et le Tribunal sont également lourdement accablés par ce processus. À partir du moment où le commissaire dépose une demande d’injonction, il n’y a qu’une semaine au cours de laquelle le Bureau, les parties fusionnantes et le Tribunal doivent accomplir des tâches difficiles. Premièrement, les parties fusionnantes doivent élaborer et déposer les documents en réponse. Deuxièmement, les parties fusionnantes et le Bureau doivent se préparer et assister à une audience. Troisièmement, le Tribunal doit tenir l’audience, examiner les éléments de preuve et rendre une décision finale sur la question. Compte tenu de la complexité des litiges relatifs aux fusionnements, un tel calendrier accéléré peut compromettre les droits et la capacité des parties de répondre et du Tribunal de prendre une décision pleinement réfléchie. Cela crée des problèmes importants pour l’intérêt public et l’administration de la justice.

De plus, les contraintes de temps imposées au Bureau et aux parties fusionnantes au cours de cette période d’examen d’un fusionnement ne sont pas symétriques. Les éléments de preuve des parties sur les avantages du fusionnement proposé auraient commencé à être élaborés au cours de la planification ordinaire de la transaction en question. À l’opposé, le Bureau ne peut disposer que de trois semaines pour établir des éléments de preuve qualitatifs et quantitatifs des effets anticoncurrentiels du fusionnement proposéNote de bas de page 76. De plus, les incitatifs des parties fusionnantes et du Bureau ne sont pas bien harmonisés au cours de ce processus. Les contraintes de temps imposées au Bureau incitent les parties fusionnantes à ne communiquer les renseignements pertinents au commissaire qu’à la dernière minute, de sorte que le Bureau a moins de temps pour examiner et incorporer ces renseignements dans son analyse.

Il convient d’adapter les normes d’injonction pour protéger efficacement la concurrence

Les normes nécessaires pour déposer, entendre, déterminer et obtenir des injonctions provisoires devraient être revues afin de s’assurer qu’il existe une voie viable pour protéger la concurrence à titre provisoire. Autrement, les consommateurs et les entreprises peuvent subir des effets anticoncurrentiels négatifs et irréversibles au moment où une demande plus générale sur le bien-fondé d’un fusionnement est entendue et décidée.

Recommandation 2.5 (Injonctions) : La possibilité de suspendre temporairement l’achèvement d’un fusionnement en attendant l’issue d’une procédure devant le Tribunal est soumise à des normes juridiques qui ne sont pas pratiques. Ces normes devraient être revues afin de s’assurer qu’il existe une voie viable pour protéger la concurrence à titre provisoire.

2.6. Les fusionnements devraient être soumis à un délai de prescription plus long

L’article 97 de la Loi empêche le commissaire de contester un fusionnement qui est essentiellement complété depuis plus d’un an. Toutefois, dans des circonstances où les marchés peuvent évoluer rapidement, le délai de prescription risque d’entraîner une sous-application de la Loi et devrait être élargi.

L’examen des fusionnements nécessite une prévision de l’évolution probable des marchés à l’avenir. L’examen d’un fusionnement comporte une analyse fondée sur l’« absence hypothétique ». Il s’agit de comparer l’état futur de la concurrence vraisemblable si le fusionnement est autorisé avec la situation où le fusionnement est interditNote de bas de page 77. La Loi prévoit alors des recours dans le cas où un fusionnement aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

Il est difficile de prévoir l’avenir et il est plus difficile de le faire lorsque l’on dispose de moins de renseignements. En prolongeant le délai de prescription de l’article 97, il devient plus facile d’observer comment le marché peut évoluer après l’achèvement essentiel du fusionnement. Dans ce cas, le Bureau peut conserver la capacité d’agir si les circonstances changent au détriment de la concurrence et des consommateurs.

La prolongation du délai de prescription prévu à l’article 97 ne devrait pas forcément réduire la certitude pour les parties fusionnantes. La grande majorité des examens des fusionnements au Canada donnent lieu à l’envoi d’une « lettre de non-intervention » ou d’un certificat de décision préalable avant la clôture du fusionnement. Les parties à ces fusionnements ont la certitude que le commissaire n’a pas l’intention de présenter une demande au Tribunal relativement à un fusionnement bien avant l’expiration du délai de prescription prévu à l’article 97Note de bas de page 78. La durée du délai de prescription n’a aucun effet sur cette certitude. Par contre, un délai de prescription plus long permettrait au Bureau de mieux protéger la concurrence en surveillant l’évolution de l’industrie et en agissant contre les effets nocifs d’un fusionnement lorsque les événements du marché nécessitent une telle action. Cela ne se produira nécessairement que pour une petite minorité de transactions.

Le délai de prescription d’un an au Canada est plus court que pour certains homologues internationaux. Aux États-Unis, il n’y a pas de délai de prescription pour les examens des fusionnements, ce qui signifie qu’un fusionnement peut être contesté à n’importe quel moment après son achèvementNote de bas de page 79. La loi australienne sur la concurrence prévoit un délai de prescription de trois ansNote de bas de page 80.

Un délai de prescription plus long permettrait également au Bureau de détecter et d’examiner les opérations de fusionnement qui ne sont pas assujetties à un préavis de fusion obligatoire. Il est probable qu’un certain nombre de ces transactions ne devant pas faire l’objet d’un avis échappent à la détection parce qu’elles ne sont pas portées à l’attention du Bureau pendant le délai de prescription d’un an.

Selon le cadre actuel, les parties à un fusionnement ne devant pas faire l’objet d’un avis n’ont pas une forte motivation à collaborer avec le Bureau. Elles n’ont aucune obligation d’aviser le commissaire de leur fusionnement. Elles peuvent également avoir avantage à conclure leur fusionnement le plus rapidement possible et à chercher à « faire traîner les choses » afin d’atteindre le délai d’un an pendant lequel le commissaire peut traiter le fusionnement. En fait, le Bureau a entendu des allégations selon lesquelles une entreprise fusionnée aurait attendu environ un an après la conclusion de sa transaction ne devant pas faire l’objet d’un avis pour imposer une hausse de prix importante. Autrement dit, l’entreprise a attendu d’avoir la certitude que le fusionnement n’était plus susceptible d’examen en vertu des dispositions de la Loi portant sur les fusionnementsNote de bas de page 81.

L’examen des transactions ne devant pas faire l’objet d’un avis est susceptible de devenir plus important à mesure que les activités de fusionnement s’accélèrent sur les marchés numériques. Au cours de la dernière décennie, seulement cinq des centaines d’acquisitions effectuées par les plus grandes entreprises technologiques – Google, Apple, Amazon, Facebook et Microsoft – ont fait l’objet d’un avis en vertu de la LoiNote de bas de page 82. Aux États-Unis, une étude récente sur le marché révèle également qu’une proportion importante des acquisitions par des géants numériques échappent généralement aux exigences d’avis préalable au fusionnementNote de bas de page 83. Il est important que le Bureau soit informé de ces transactions afin de s’assurer qu’elles ne contreviennent pas à la Loi. Certains commentateurs suggèrent que la prolongation du délai de prescription à trois ans pour les fusions ne devant pas faire l’objet d’un avis garantira au Bureau un délai suffisant pour en savoir plus sur le fusionnement, entreprendre une enquête et, le cas échéant, déposer une demande dans le délai de prescriptionNote de bas de page 84.

La prolongation du délai de prescription pour les transactions de fusionnement revigorerait les efforts d’application de la loi du Bureau. Une telle prolongation renforcerait la capacité du Bureau de protéger la concurrence en surveillant l’évolution de l’industrie et en agissant contre les effets nocifs d’un fusionnement lorsque les événements du marché nécessitent une telle action. Avant les modifications apportées à la Loi en 2009, le Canada avait également un délai de prescription de trois ans; cette période de trois ans devrait être rétablie.

Recommandation 2.6 (Délai de prescription) : La Loi n’accorde au commissaire que peu de temps pour contester un fusionnement. Le délai de prescription prévu à l’article 97 devrait être prolongé à trois ans.

2.7. Les échappatoires concernant les avis préalables au fusionnement devraient être comblées

Le régime canadien d’avis préalable au fusionnement est une partie essentielle de la Loi qui exige des parties à certaines transactions proposées d’effectuer ce qui suit :

  • Aviser le commissaire de la transaction proposée.
  • Fournir certains renseignements au commissaire.
  • Attendre une période précise avant de terminer la transaction.

L’avis préalable au fusionnement est essentiel à la politique de concurrence, en ce sens qu’elle :

  • informe le Bureau de la transaction proposée;
  • donne au Bureau le temps d’analyser l’incidence de la transaction proposée;
  • facilite cette analyse en s’assurant que certains renseignements requis sont soumis au Bureau;
  • cherche à éviter les difficultés liées à la correction d’un fusionnement terminé, lorsque ce fusionnement est par la suite jugé anticoncurrentiel.

Toutefois, le régime actuel d’avis préalable au fusionnement est limité par plusieurs questions importantes. En particulier, le régime canadien :

  • n’a pas de disposition anti-évitement, ce qui peut permettre aux parties fusionnantes d’éviter de présenter un avis en « déjouant » le système;
  • ne tient pas compte de certaines transactions concernant des entreprises étrangères qui peuvent entraîner des effets négatifs sur les Canadiens;
  • contient de nombreuses échappatoires techniques qui font en sorte qu’il est plus difficile pour le Bureau de détecter tous les fusionnements touchant le Canada et d’enquêter efficacement à leur sujet.

Ces questions augmentent le risque que le Bureau ne soit pas informé des fusionnements problématiques ou qu’il n’ait pas le temps et les renseignements nécessaires pour enquêter sur les effets de ces fusionnements. Un examen effectué par deux avocats dans le domaine de la concurrence a révélé que près de la moitié des 30 transactions publiques de fusionnement les plus importantes au Canada au cours des cinq dernières années n’étaient pas assujetties à un avis préalable au fusionnementNote de bas de page 85.

Le Canada a besoin d’une disposition anti-évitement

Les dispositions anti-évitement dans les régimes d’avis préalable au fusionnement aux États-UnisNote de bas de page 86 et dans l’Union européenneNote de bas de page 87 constituent une garantie contre les parties fusionnantes qui structurent les transactions de manière à ne pas dépasser les seuils d’avis. Le régime canadien d’avis préalable au fusionnement n’a pas de disposition anti évitement de ce genre. La Loi devrait être munie d’une disposition anti-évitement qui empêcherait les parties de structurer leur entente afin de se soustraire à l’obligation d’aviser.

Les ventes au Canada devraient être comptabilisées aux fins d’avis

Pour qu’une transaction proposée puisse faire l’objet d’un avis, la valeur globale de l’actif de la cible, ou les recettes brutes annuelles des ventes au Canada ou provenant de ces actifs, doivent dépasser le seuil relatif à la taille des transactions, qui se situe actuellement à 93 millions de dollarsNote de bas de page 88. Toutefois, cette formulation ne tient pas compte des ventes réalisées vers le Canada par la cible qui ne sont pas générées à partir d’actifs canadiensNote de bas de page 89. Les ventes vers le Canada demeurent importantes sur le plan de la concurrence et peuvent être touchées par la transaction proposée. De plus, ce facteur est plus important dans l’économie numérique où les entreprises peuvent avoir des ventes vers le Canada qui ne sont pas dérivées d’actifs canadiens. Par conséquent, ces ventes devraient être incluses correctement dans les calculs qui déterminent si un fusionnement doit faire l’objet d’un avis.

Les échappatoires techniques concernant les avis préalables au fusionnement devraient être comblées

Les avis préalables au fusionnement font partie d’un domaine technique du droit. Outre les questions susmentionnées, il y a au moins sept autres questions techniques qui devraient être abordées, notamment :

  • Le système n’exige pas d’avis préalable à la fusion pour les transactions liées entre les mêmes parties ou des parties affiliées lorsque chaque transaction est inférieure au seuil (par exemple, une stratégie d’acquisition progressive). Les acquisitions liées devraient être traitées comme une seule transaction dans le cadre du régime d’avis préalable au fusionnement.
  • Une acquisition d’actions et d’actifs au-dessus du seuil lorsque chaque composante de la transaction est inférieure au seuil échapperait aux exigences actuelles en matière d’avis. L’acquisition d’actions ou de titres de participation (y compris des actions ou des titres de participation d’entités qui ne sont pas des filiales les unes des autres) et d’actifs, ainsi que les fusions, devraient tous être regroupés aux fins du calcul du seuil.
  • Le régime est structuré de telle sorte que les entreprises à risques partagés qui ne sont pas des sociétés sont souvent exemptées d’avisNote de bas de page 90. Cela a pour effet d’exclure une grande catégorie de transactions d’importance concurrentielle des exigences d’avis, simplement en raison de la structure des transactionsNote de bas de page 91. Par conséquent, les entreprises à risques partagés qui ne sont pas des sociétés devraient faire dûment l’objet d’un avis en vertu de la Loi.
  • Un avis devrait être requis pour l’acquisition de plus de 20 % (pour les sociétés publiques), 35 % (pour les sociétés privées) ou 50 % de toute catégorie d’actions comportant droit de vote si les autres seuils sont atteints. Cela permettrait d’examiner la définition d’« action comportant droit de vote » au paragraphe 108(1) qui laisse la possibilité d’acquérir jusqu’à 100 % des catégories d’actions importantes sans avis préalable. Cette définition devrait également inclure toute action à laquelle des votes peuvent être rattachés dans le cours normal des affaires.
  • Le paragraphe 110(6) devrait être modifié de sorte que l’acquisition d’un titre de participation dans une association d’intérêts qui « contrôle une entité qui exploite une [entreprise en exploitation] » soit également visée. Cela harmoniserait le paragraphe 110(6) avec les règles relatives à l’acquisition d’actions du paragraphe 110(3).
  • Le paragraphe 110(5) devrait être modifié de façon à ce qu’il vise les actifs fournis par les affiliées des associés d’une entreprise à risques partagés.
  • La définition d’« entreprise en exploitation » devrait être modifiée de sorte que l’entreprise en exploitation n’ait pas besoin d’être au Canada pour déclencher l’obligation de présenter un avis.

Les échappatoires concernant les avis préalables au fusionnement devraient être comblées

Ces questions ont des conséquences importantes sur le régime canadien d’examen des fusionnements. Bien que le commissaire conserve la compétence de contester les fusions ne devant pas faire l’objet d’un avis, tout fusionnement doit être détecté et faire l’objet d’une enquête avant l’expiration du délai de prescription d’un an après la conclusionNote de bas de page 92. En l’absence d’un avis préalable au fusionnement, il y a un risque que les entreprises et les consommateurs canadiens souffrent d’un fusionnement anticoncurrentiel qui se produit non pas à cause d’une décision du commissaire, mais à cause d’échappatoires juridiques techniques.

Recommandation 2.7 (Avis) : Certains fusionnements peuvent ne pas être détectés par le Bureau en raison d’échappatoires dans la Loi. Il faudrait combler ces échappatoires dans les exigences relatives à l’avis préalable au fusionnement afin de s’assurer que le Bureau conserve la capacité de détecter et d’examiner les fusionnements économiquement importants qui touchent le Canada.

3. Abus de position dominante

Le fait d’être « gros » n’est pas un problème en vertu de la Loi. Les entreprises peuvent gagner des parts de marché grâce au processus concurrentiel. Elles attirent ainsi l’attention de la concurrence, ce qui incite les autres entreprises à attirer l’attention des consommateurs en innovant, en étant différentes et en apportant une nouvelle valeur au marché. La Loi ne s’applique que lorsqu’une entreprise dominante profite de sa position privilégiée de leader du marché pour agir de manière à nuire à la concurrence.

L’article 79 de la Loi prévoit des recours lorsqu’une entreprise dominante abuse de sa position sur le marché au détriment de la concurrence. Même dans ce cas, la disposition est rédigée de façon étroite, ce qui oblige le commissaire à prouver chaque élément d’un critère en trois volets :

  • Une entreprise est dominante sur un marché, de sorte qu’elle a le pouvoir de contrôler les résultats du marché ou qu’elle gagne ce pouvoir par son comportement abusif.
  • Cette entreprise se livre à une pratique d’agissements anticoncurrentiels dont l’effet est abusif, vise une exclusion ou une mise au pas d’un concurrent.
  • Cette pratique d’agissements anticoncurrentiels empêche ou diminue sensiblement la concurrence.

Cette disposition souffre de lacunes qui diminuent son efficacité dans le maintien de l’ordre dans la conduite des entreprises dominantes. Plus particulièrement :

  • la disposition relative à l’abus de position dominante peut permettre aux entreprises dominantes d’échapper à l’examen, même lorsque leur conduite affaiblit la concurrence;
  • les normes établies à partir de l’analyse des industries plus traditionnelles ne sont pas adaptées à l’évaluation des comportements anticoncurrentiels visant des concurrents émergents dans l’économie numérique;
  • les sanctions pécuniaires prévues par la disposition sur l’abus de position dominante sont souvent trop faibles pour dissuader efficacement les comportements anticoncurrentiels;
  • l’accès privé au Tribunal n’est actuellement pas disponible pour les affaires d’abus de position dominante.

Une réforme législative est nécessaire pour traiter chacune de ces questions. Elle permettra de s’assurer que les entreprises dominantes sont moins en mesure d’abuser de leur position sur le marché.

3.1. L’abus de position dominante devrait couvrir toutes les formes de comportement anticoncurrentiel

Si elles ne sont pas contrôlées, les entreprises dominantes peuvent avoir une incidence négative sur le processus concurrentiel pour leur propre avantage. La disposition sur l’abus de position dominante de l’article 79 de la Loi vise à réglementer ce genre de conduite et à s’assurer que les forces concurrentielles dictent les résultats du marché.

Toutefois, les tribunaux ont interprété les éléments de la disposition sur l’abus de position dominante de façon étroite, ce qui peut ne pas tenir compte des formes préjudiciables de comportement anticoncurrentiel. En vertu de la jurisprudence actuelle, le Tribunal a généralement jugé que les abus de position dominante ne posaient problème que lorsque l’entreprise dominante se livre à une conduite ayant un effet négatif intentionnel sur un concurrent et cet effet doit être abusif, viser une exclusion ou une mise au pasNote de bas de page 93. Cette interprétation se concentre trop étroitement sur l’intention de cette conduite par rapport à un concurrent plutôt que par rapport au processus concurrentiel. Cela signifie que le comportement qui est nuisible à la concurrence, mais qui n’est pas destiné à nuire à un concurrent, est potentiellement laissé sans contrôle. Selon les commentateurs, cette lacune a un [TRADUCTION] « urgent besoin de réformeNote de bas de page 94 ».

Prenons par exemple le cas d’un détaillant dominant qui a adopté une clause de « parité des prix ». Cette clause exige que, lorsque son fournisseur vend son produit directement aux consommateurs, le fournisseur ne puisse vendre ce produit à un prix inférieur à celui du détaillant. Cela peut nuire au processus concurrentiel en empêchant le fournisseur d’offrir un prix de vente au détail plus bas que celui de l’entreprise dominanteNote de bas de page 95. Toutefois, cette pratique pourrait aider le fournisseur à se positionner sur le plan économique, ce qui lui permettrait de réaliser des profits plus importants que dans un environnement plus concurrentiel. Le dommage dans cet exemple ne touche que le processus concurrentiel et n’est pas nécessairement destiné à avoir sur un concurrent un effet négatif qui est abusif, qui vise une exclusion ou une mise au pas. Par conséquent, il n’est pas certain que la conduite puisse être traitée en vertu de l’article 79 de la Loi. Néanmoins, dans cet exemple, les consommateurs se verraient refuser les avantages de la concurrence et seraient obligés de payer des prix plus élevés.

Cette interprétation étroite de l’intention des agissements d’une entreprise dominante risque de passer à côté d’une conduite préjudiciable. La Loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada. Par conséquent, ses dispositions devraient viser à corriger les comportements qui sont préjudiciables au processus concurrentiel en général, et pas seulement à un ou à plusieurs concurrents.

Recommandation 3.1 (Agissements anticoncurrentiels) : La disposition relative à l’abus de position dominante peut permettre aux entreprises dominantes d’échapper à l’examen, même lorsque leur conduite affaiblit la concurrence. Il faut combler cette lacune en s’assurant que la disposition tient compte du comportement visant à nuire à la concurrence et non pas seulement du comportement visant à nuire à un concurrent.

3.2. La Loi devrait mieux traiter les comportements visant de nouvelles menaces concurrentielles

Pour déterminer si une entreprise a abusé d’une position dominante, il faut notamment évaluer si la conduite de cette entreprise empêche ou diminue sensiblement la concurrence. Il s’agit du même critère de fond que celui qui s’applique aux fusionnements visés à l’article 92 de la LoiNote de bas de page 96. Par conséquent, la préoccupation exprimée à la section 2.3 du présent mémoire au sujet de l’évaluation de la concurrence des entreprises émergentes s’applique également aux cas d’abus de position dominante.

Dans le contexte d’un agissement anticoncurrentiel visant une entreprise émergenteNote de bas de page 97, le commissaire doit démontrer qu’un tel acte a mis fin au développement d’une force concurrentielle importanteNote de bas de page 98. Il peut être difficile de prouver qu’une entreprise émergente, aux premiers stades du développement des produits qui pourraient concurrencer ceux d’autres concurrents, jouerait un rôle concurrentiel important. Toutefois, même lorsque c’est incertain, ou lorsqu’il n’y a qu’une faible probabilité qu’une entreprise émergente développe un produit concurrentiel, tout agissement anticoncurrentiel visant cette entreprise peut étouffer complètement cette possibilitéNote de bas de page 99. Par conséquent, les entreprises dominantes peuvent échapper à l’examen en vertu de la Loi parce qu’elles se livrent à un comportement anticoncurrentiel non pas parce que ce comportement ne réduit pas sensiblement la concurrence, mais plutôt parce que l’ampleur de l’effet est difficile à prouver.

Recommandation 3.2 (Norme de prévention) : Les normes établies à partir de l’analyse des industries plus traditionnelles ne sont pas adaptées à l’évaluation des comportements anticoncurrentiels visant des concurrents émergents dans l’économie numérique. Une norme plus fonctionnelle offrirait une plus grande souplesse pour protéger le processus concurrentiel.

3.3. Les sanctions pécuniaires devraient dissuader les comportements anticoncurrentiels

Les sanctions administratives pécuniaires jouent un rôle important pour assurer l’efficacité de la Loi. Bien structurées, ces sanctions peuvent inciter fortement les entreprises à se conformer à la Loi. Toutefois, pour atteindre cet objectif, une telle sanction « […] doit être supérieure aux profits que l’entreprise abusive peut réaliser grâce à son comportement anticoncurrentielNote de bas de page 100 ». Dans le cas contraire, les entreprises peuvent encore réaliser des bénéfices de la conduite même après avoir payé l’amende. Dans une telle situation, les sanctions pécuniaires risquent simplement de devenir un coût à assumer pour transigerNote de bas de page 101.

Les sanctions pécuniaires maximales actuelles prévues à l’article 79 sont insuffisantes. La sanction maximale prévue au paragraphe 79(3.1) est de 10 millions de dollars pour une ordonnance initiale et de 15 millions de dollars pour une ordonnance subséquenteNote de bas de page 102. Il est difficile de voir comment de telles sommes pourraient dissuader efficacement les grandes entreprises qui obtiennent des milliards de dollars de recettes annuellesNote de bas de page 103. Dans un tel cas, la Loi n’impose pas de conséquences significatives en cas de non-conformité.

Les sanctions pécuniaires du Canada en cas d’abus de position dominante sont nettement en décalage par rapport aux administrations internationales. Par exemple :

  • Au Royaume-Uni, les sanctions financières sont déterminées en fonction de plusieurs facteurs, dont la durée et la gravité de la conduite, et peuvent totaliser jusqu’à 10 % des recettes mondiales de l’entrepriseNote de bas de page 104. La CMA du Royaume-Uni a récemment imposé une amende de plus de 155 millions de livres sterling (GBP) (267 millions de dollars canadiens) à une société pharmaceutique pour abus de position dominanteNote de bas de page 105.
  • Dans l’Union européenne, les amendes sont également fondées sur la durée et la gravité de la conduite. Elles peuvent représenter jusqu’à 10 % des recettes annuelles d’une entrepriseNote de bas de page 106. Le Tribunal général européen a récemment confirmé l’amende de 2,42 milliards d’euros (3,5 milliards de dollars canadiens) imposée par la Commission européenne à Google pour avoir abusé de sa position dominante dans la recherche en ligneNote de bas de page 107.
  • En Australie, la sanction maximale encourue par les sociétés pour chaque infraction à la loi est la plus élevée des sanctions suivantes :
    1. 10 millions de dollars australiens (9,2 millions de dollars canadiens);
    2. si l’on peut déterminer les bénéfices excédentaires que la société a obtenus par suite de la conduite, trois fois cette valeur;
    3. si l’on ne peut déterminer les bénéfices excédentaires obtenus, 10 % des recettes annuelles de la sociétéNote de bas de page 108.
  • En Corée du Sud, une sanction ne dépassant pas 3 % des recettes peut être imposée, mais une sanction supplémentaire n’excédant pas un milliard de won (1,1 million de dollars canadiens) peut être imposée si aucune vente n’a été effectuée ou s’il est impossible de calculer les ventesNote de bas de page 109. Un tribunal sud-coréen a récemment confirmé une amende de 1,03 billion de won (1,1 milliard de dollars canadiens) imposée par la commission du commerce équitable de Corée à Qualcomm pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des jeux de puces pour modemsNote de bas de page 110.

Les montants effectifs des sanctions doivent excéder les recettes tirées de la conduite abusive. Dans le cas contraire, il est peu probable que les entreprises soient dissuadées d’une telle conduite. Si les montants des sanctions devaient être perçus à des niveaux appropriés compte tenu des détails de chaque cas, les sanctions actuelles sont faibles et inflexibles par rapport à celles dont disposent les homologues internationaux.

Recommandation 3.3 (Sanctions) : Les sanctions pécuniaires prévues par la disposition sur l’abus de position dominante sont souvent trop faibles pour dissuader efficacement les comportements anticoncurrentiels. Ces sanctions devraient être adaptées afin de s’assurer qu’elles peuvent atteindre leur objectif, à savoir faire respecter la Loi.

3.4. L’accès privé devrait être élargi aux affaires d’abus de position dominante

Seul le commissaire peut présenter des demandes au Tribunal en vertu de la disposition de la Loi sur l’abus de position dominante. Dans certaines circonstances, il peut être approprié qu’une partie privée intente une action.

Les droits d’accès privés servent de complément à l’application publique de la loi par le commissaire. Le plus grand avantage des droits d’accès privés est peut-être qu’en ayant un plus grand nombre d’affaires devant le Tribunal, un ensemble plus large de jurisprudence serait développé. Cette jurisprudence sert à clarifier certains aspects de la loi et à dissiper l’incertitude pour le commissaire, les parties privées et les entreprises qui se livrent à une conduite susceptible d’examen.

En outre, il peut y avoir des cas où la partie est mieux placée pour intenter une action que le commissaire. Par exemple, les entreprises connaissent en général mieux les faits des industries dans lesquelles elles fonctionnent. Par conséquent, elles peuvent souvent agir plus rapidement que le Bureau, qui devrait mener une enquête approfondie pour déterminer ces faits. Un autre scénario est celui où la conduite porte préjudice à une entreprise particulière qui, par conséquent, obtiendrait un avantage unique de la correction de la conduite.

Dans un monde où les ressources sont limitées, le Bureau doit donner la priorité à certaines affaires plutôt qu’à d’autres. Les droits d’accès privés permettent à tous ceux qui ont une plainte légitime de demander réparation devant le Tribunal. Un tel élargissement des droits d’accès privés permettra d’accroître plus rapidement la jurisprudence précieuse et de mettre davantage en évidence ces articles pour le commissaire et le milieu des affaires du Canada

Recommandation 3.4 (Droits d’accès privés) : L’accès privé au Tribunal n’est actuellement pas disponible pour les affaires d’abus de position dominante. La Loi devrait permettre cet accès.

4. Collaborations entre concurrents susceptibles d’examen au civil

Les entreprises sont de plus en plus contraintes d’adopter des stratégies flexibles pour rester concurrentielles dans une économie qui évolue continuellement à cause de la mondialisation, de l’innovation technologique et des progrès dans les processus de production. Les collaborations proconcurrentielles, même lorsqu’elles font appel à des concurrents, peuvent profiter aux Canadiens parce qu’elles permettraient aux entreprises d’utiliser plus efficacement les ressources et d’accélérer le rythme de l’innovation. En même temps, certaines collaborations avec des concurrents peuvent nuire considérablement à la concurrence.

Les modifications apportées en 2009 à la Loi visaient à créer un régime d’application de la loi criminel plus ciblé pour les formes les plus flagrantes d’accords de cartel, tout en éliminant la menace de sanctions pénales pour d’autres collaborations. L’interdiction criminelle modifiée, énoncée à l’article 45 de la Loi, est réservée aux accords entre concurrents visant à fixer les prix, à répartir les marchés ou à restreindre la production. D’autres formes de collaboration entre concurrents, comme les entreprises à risques partagés et les alliances stratégiques, peuvent faire l’objet d’un examen civil en vertu de l’article 90.1 de la Loi. Cette disposition interdit de tels accords uniquement s’ils empêchent ou diminuent sensiblement la concurrence.

L’article 90.1 n’existe que depuis 2009 et, à ce titre, demeure l’une des plus récentes dispositions de fond de la Loi. La dernière décennie d’expérience dans l’application et le contrôle d’application de l’article 90.1 a révélé des lacunes importantes dans sa portée. Par exemple :

  • les recours disponibles sont insuffisants;
  • seuls les accords actuels ou proposés entre concurrents, et seuls les dommages actuels ou futurs à la concurrence, peuvent être réglés en vertu de la disposition;
  • la disposition contient une exception relative aux gains en efficience, semblable à celle des dispositions sur les fusionnements, qui est tout aussi incorrecte pour préserver et favoriser la concurrence;
  • les normes établies à partir de l’analyse des industries plus traditionnelles ne sont pas adaptées à l’évaluation des collaborations entre concurrents qui nuisent aux concurrents émergents dans l’économie numérique;
  • les accords de règlement de litiges relatifs aux brevets pharmaceutiques peuvent nuire à la concurrence, mais peuvent être difficiles à détecter pour le Bureau;
  • l’accès privé au Tribunal n’est actuellement pas disponible pour les collaborations entre concurrents.

Une réforme législative est nécessaire pour traiter chacune de ces questions. Elle permettra d’accroître l’efficacité de la Loi pour s’assurer que les collaborations entre concurrents n’ont pas d’incidence négative sur la concurrence.

4.1. La Loi a besoin de nouveaux recours pour traiter les collaborations entre concurrents

Le principal recours prévu à l’article 90.1 est une ordonnance d’interdiction qui empêche « toute personne […] d’accomplir tout acte au titre de l’accord ou de l’arrangementNote de bas de page 111 ». Les recours ne peuvent comporter « toute autre mesure » qu’avec le consentement de la partie en questionNote de bas de page 112. De plus, contrairement à d’autres articles de la Loi, l’article 90.1 ne confère aucun pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniairesNote de bas de page 113.

Les ordonnances d’interdiction peuvent être insuffisantes pour surmonter les effets négatifs qu’un accord entre concurrents peut avoir sur la concurrence. D’autres articles de la Loi le reconnaissent, y compris l’article 79 qui traite des abus de position dominante qui, en plus de contenir un recours d’interdiction, donne le pouvoir d’obliger une personne à « […] prendre des mesures raisonnables et nécessaires dans le but d’enrayer les effets de la pratique sur le marché en question et, notamment, de se départir d’éléments d’actif ou d’actions » dans les cas où une ordonnance d’interdiction, à elle seule, serait insuffisante pour atteindre cet objectifNote de bas de page 114.

En outre, des sanctions administratives pécuniaires sont également prévues pour l’abus de position dominante. L’article 90.1 exige des mesures correctives semblables pour s’assurer qu’il est efficace d’obtenir la conformité à la Loi.

Recommandation 4.1 (Recours) : Les recours prévus pour les collaborations entre concurrents sont insuffisants. Dans ces cas, des recours prescriptifs visant à rétablir la concurrence et des sanctions administratives pécuniaires devraient être disponibles.

4.2. Les accords passés et les dommages passés devraient être traités en vertu de la Loi

L’article 90.1 s’applique uniquement aux accords « conclu[s] ou proposé[s] » entre concurrentsNote de bas de page 115. Par conséquent, la Loi ne prévoit aucun recours pour les accords qui existaient dans le passé, mais qui ne sont plus en vigueur. Ce cadre temporel crée une incertitude quant à savoir si les parties à un accord pourraient simplement mettre fin à tout accord qui attire l’attention du commissaire et le rétablir à un moment futur.

De même, l’article 90.1 ne prévoit un recours que pour les dommages causés à la concurrence qui se produisent actuellement ou qui se produiront vraisemblablement à l’avenirNote de bas de page 116. Il ne donne pas le pouvoir de traiter les dommages qui se sont produits dans le passé, mais qui ont cessé depuis. Il contraste avec la disposition sur l’abus de position dominante de l’article 79, qui prévoit un recours pour les comportements anticoncurrentiels qui ont causé des dommages passésNote de bas de page 117.

Recommandation 4.2 (Accords passés et dommages passés) : Seuls les accords actuels ou proposés entre concurrents, et seuls les dommages actuels ou futurs à la concurrence, sont assujettis à la disposition sur la collaboration entre concurrents. L’article 90.1 devrait être élargi pour tenir compte à la fois des accords passés qui ne sont plus en vigueur et des dommages passés à la concurrence qui ont cessé depuis.

4.3. Les gains en efficience ne devraient pas se voir accorder la priorité dans les collaborations entre concurrents

L’article 90.1 reprend bon nombre des dispositions majeures de la Loi ayant trait aux fusionnements. Ainsi, le paragraphe 90.1(4) établit une exception relative aux gains en efficience qui s’applique aux collaborations entre concurrents. Comme il est précisé plus en détail à la section 2.1 du présent mémoire, une telle exception relative aux gains en efficience a pour effet ce qui suit :

  • Permettre des collaborations qui sont préjudiciables aux Canadiens.
  • Être incompatible avec les pratiques exemplaires internationales.
  • Être difficile, voire impossible, à mettre en œuvre correctement.
  • Découler d’une intention de politique publique originale erronée.

Tout comme dans le cas des fusionnements, les considérations relatives à l’efficience sont l’une des raisons pour lesquelles les entreprises peuvent souhaiter collaborer. Toutefois, il n’est pas approprié que les gains en efficience permettent systématiquement des collaborations nuisibles. Par conséquent, plutôt que de considérer les gains en efficience comme une exception à la disposition de fond qui permet des collaborations nuisibles, les gains en efficience devraient plutôt être incorporés comme un facteur qui peut être pris en considération pour déterminer l’effet ultime d’une collaboration, comme les facteurs énoncés au paragraphe 90.1(2) de la Loi.

Recommandation 4.3 (Gains en efficience) : La disposition sur les collaborations entre concurrents contient une exception relative aux gains en efficience, semblable à celle des dispositions sur les fusionnements, qui est tout aussi incorrecte pour préserver et favoriser la concurrence. Cette exception devrait être éliminée, et les gains en efficience devraient être considérés à juste titre comme un facteur lors de l’examen des effets d’une collaboration entre concurrents.

4.4. La Loi devrait mieux traiter les accords qui nuisent aux concurrents émergents

L’article 90.1 prévoit des mesures correctives lorsqu’une entente entre concurrents empêche ou diminue sensiblement la concurrence. Il s’agit du même critère de fond que celui qui s’applique aux fusionnements visés à l’article 92 de la LoiNote de bas de page 118. Par conséquent, la préoccupation exprimée à la section 2.3 du présent mémoire au sujet de l’évaluation de la concurrence des entreprises émergentes s’applique également aux collaborations entre concurrents.

Dans le contexte d’une collaboration entre concurrents qui nuit à une entreprise émergenteNote de bas de page 119, le commissaire doit démontrer qu’une telle collaboration a mis fin au développement d’une force concurrentielle importanteNote de bas de page 120. Il peut être difficile de prouver qu’une entreprise émergente, aux premiers stades du développement des produits qui pourraient concurrencer ceux d’autres concurrents, jouerait un rôle concurrentiel important. Toutefois, même lorsque c’est incertain, ou lorsqu’il n’y a qu’une faible probabilité qu’une entreprise émergente développe un produit concurrentiel, un accord entre concurrents qui nuit à cette entreprise peut étouffer complètement cette possibilitéNote de bas de page 121. Par conséquent, cela signifie qu’une telle collaboration peut échapper à l’examen en vertu de la Loi non parce qu’elle ne réduit pas sensiblement la concurrence, mais plutôt parce que l’ampleur de son effet est difficile à prouver.

Recommandation 4.4 (Norme de prévention) : Les normes établies à partir de l’analyse des industries plus traditionnelles ne sont pas adaptées à l’évaluation des collaborations entre concurrents qui nuisent aux concurrents émergents dans l’économie numérique. Une norme plus fonctionnelle offrirait une plus grande souplesse pour protéger le processus concurrentiel.

4.5. Les accords de règlement de litiges relatifs aux brevets pharmaceutiques devraient faire l’objet d’un avis

Le développement de nouveaux produits pharmaceutiques est un processus coûteux et incertain. Les nouveaux produits pharmaceutiques bénéficient souvent d’une protection conférée par un brevet, ce qui peut contribuer à garantir une telle innovationNote de bas de page 122. Cela peut signifier qu’à la suite de l’introduction d’un nouveau médicament, ses propriétaires se voient accorder une exclusivité temporaire, pendant laquelle aucun autre fabricant ne peut produire une version identique du médicament.

Cependant, ces protections conférées par un brevet finissent par expirer. Après la fin de toute exclusivité, les fabricants de médicaments dits « génériques » sont autorisés à créer des copies identiques du médicament et à les offrir aux consommateurs en concurrence directe avec la version dite « de marqueNote de bas de page 123 ». Les fabricants génériques peuvent également contester la validité du brevet ou sa contrefaçon, ce qui donne lieu à des différends sur le statut de brevet d’un produit donné. Ces différends peuvent donner lieu à des litiges et, en fin de compte, peuvent être réglés au moyen d’« ententes de règlement des litiges en matière de brevets ».

Depuis 2014, le Bureau préconise la mise en place d’un système lui permettant d’être informé de ces accordsNote de bas de page 124. En effet, ces accords peuvent parfois avoir des effets anticoncurrentiels importants. En particulier, ces accords peuvent parfois comporter des mécanismes où un fabricant de médicaments de marque indemnise un fabricant de médicaments génériques pour retarder son entrée sur le marché. Puisque les produits génériques sont généralement moins chers que les médicaments de marque, ces types d’arrangements de retard d’entrée peuvent entraîner des réductions importantes de la concurrence. Cela conduit à une hausse des prix à la consommation, à un moins grand nombre de choix et à une diminution des niveaux d’innovation. Une étude de 2010 menée par la Federal Trade Commission des États-Unis (« FTC des États-Unis ») a estimé que ces accords coûtaient aux consommateurs et aux contribuables américains 3,5 milliards de dollars en coûts de médicaments plus élevés chaque annéeNote de bas de page 125.

En raison de la nature privée des ententes de règlement des litiges en matière de brevets, il est peu probable qu’elles soient portées à l’attention du Bureau par les plaignants. Aux États-Unis, cette question est réglée en exigeant des sociétés pharmaceutiques qu’elles avisent la FTC des États-Unis de tels accordsNote de bas de page 126. Au-delà de la possibilité d’une détection et d’une enquête, un mécanisme d’avis contribue également à la dissuasion, dans la mesure où les entreprises seront moins susceptibles de conclure des accords anticoncurrentiels qu’elles savent être examinés de près. Par exemple, la FTC des États-Unis a signalé une baisse continue des exemples problématiques de ces accords au cours des dernières annéesNote de bas de page 127.

Recommandation 4.5 (Notification des ententes de règlement des litiges en matière de brevets pharmaceutiques) : Les ententes de règlement des litiges en matière de brevets pharmaceutiques peuvent nuire à la concurrence, mais peuvent être difficiles à détecter pour le Bureau. La Loi nécessite un mécanisme pour que le Bureau soit avisé de tels accords.

4.6. L’accès privé devrait être élargi aux collaborations entre concurrents

Comme pour l’abus de position dominante, seul le commissaire peut présenter des demandes au Tribunal en vertu de la disposition de la Loi sur les collaborations entre concurrents. Dans certaines circonstances, il peut être approprié qu’une partie privée intente une action. Dans un monde où les ressources sont limitées, le Bureau doit donner la priorité à certaines affaires plutôt qu’à d’autres. Les droits d’accès privés permettent à tous ceux qui ont une plainte légitime de demander réparation devant le Tribunal. Un tel élargissement des droits d’accès privés permettra d’accroître plus rapidement la jurisprudence précieuse et de mettre davantage en évidence ces articles pour le commissaire et le milieu des affaires du Canada.

Recommandation 4.6 (Droits d’accès privés) : L’accès privé au Tribunal n’est actuellement pas disponible pour les affaires de collaboration entre concurrents. La Loi devrait permettre cet accès.

5. Cartels : Complot et truquage des offres

Les dispositions de la Loi sur le complot et le truquage des offres indiquent les catégories d’accords qui sont susceptibles de nuire à la concurrence, et qui sont si dépourvus d’avantages proconcurrentiels qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte de leurs effets sur la concurrence pour obtenir une condamnation. Il s’agit d’accords entre concurrents visant à fixer les prix, à truquer les offres, à répartir les marchés ou à restreindre la production.

Ces dispositions de la Loi en matière criminelle comportent des lacunes importantes. Plus particulièrement :

  • les complots nuisibles entre acheteurs échappent à l’examen des dispositions de la Loi en matière criminelle;
  • l’élément « porté à la connaissance » de la disposition de la Loi sur le truquage des offres ne suffit pas à protéger la compétitivité des processus d’appel d’offres;
  • les amendes pour les infractions liées aux cartels sont incohérentes et, pour les complots, insuffisantes pour dissuader les comportements anticoncurrentiels.

Chacune de ces questions devrait être abordée afin d’accroître l’efficacité de la Loi pour s’assurer que les entreprises qui recourent illégalement à la collusion, plutôt que de se concurrencer, sont passibles de sanctions appropriées.

5.1. Les complots nuisibles entre acheteurs devraient être passibles de sanctions pénales

L’article 45 de la Loi est une disposition en matière criminelle qui a été modifiée en 2009 afin d’interdire les ententes entre concurrents visant à fixer les prix, à attribuer des marchés ou à limiter la fourniture d’un produit. Depuis, il est devenu évident que la disposition ne traite pas adéquatement des accords nuisibles entre concurrents. Bien que cette disposition s’applique directement aux complots entre vendeurs, elle ne traite pas actuellement des complots liés aux acheteursNote de bas de page 128. Cette restriction a récemment fait l’objet de discussions très médiatisées sur la question de la fixation des salaires et des accords de non-débauchage au CanadaNote de bas de page 129.

En particulier, l’omission d’accords entre acheteurs signifie que les dispositions de la Loi sur le complot ne protègent pas actuellement les travailleurs contre les accords entre employeurs qui fixent les salaires et limitent la mobilité de l’emploiNote de bas de page 130. Les administrations internationales ont récemment identifié les accords de non-débauchage et de fixation des salaires comme étant particulièrement flagrants. Par exemple, en octobre 2021, la Commission européenne s’est engagée à étendre son application de la loi relative aux complots aux marchés du travail, y compris les accords de non-débauchage et de fixation des salairesNote de bas de page 131. Cela a suivi une application de la loi similaire dans le domaine du marché du travail en IrlandeNote de bas de page 132 et en ItalieNote de bas de page 133. Le département américain de la Justice a également demandé des sanctions pénales pour les infractions antitrust sur le marché du travail. Il a intenté sa première poursuite en matière de fixation des salaires en décembre 2020Note de bas de page 134 et sa première poursuite de non-débauchage en janvier 2021Note de bas de page 135. Ces procédures tiennent compte de l’engagement des États-Unis de poursuivre au criminel les auteurs d’accords de non débauchage ou de fixation des salaires qui ne sont pas liés ou qui sont inutiles à une collaboration légitime plus large entre employeursNote de bas de page 136. Une importante décision des États Unis en novembre 2021 a souligné la gravité de la fixation des salaires en confirmant son statut d’infraction en soi qui peut faire l’objet de poursuites criminellesNote de bas de page 137. Ces développements ont mis le Canada en décalage par rapport à notre principal partenaire commercial, puisque la Loi n’envisage actuellement aucune sanction pénale pour les complots entre acheteursNote de bas de page 138.

En revanche, certains accords entre acheteurs peuvent être proconcurrentiels ou bénins. Il s’agit notamment d’accords entre acheteurs pour former des groupes d’achat afin de profiter de rabais sur le volume. Par exemple, de petits magasins de matériel ou d’épicerie peuvent former de tels groupes pour acquérir des produits à des prix réduits en volume. Cela permet aux petites entreprises de concurrencer plus efficacement les grandes surfaces. Ces accords peuvent profiter aux deux vendeurs, car ils peuvent tirer parti des gains en efficience découlant de la vente en volume au groupe d’achat, ainsi qu’aux consommateurs qui obtiennent d’autres solutions concurrentielles. Par conséquent, ces arrangements ne devraient pas être considérés comme des infractions à la Loi.

Il est difficile d’établir une ligne de démarcation entre les complots entre acheteurs qui méritent d’être examinés au criminel en vertu de la Loi, et les arrangements entre acheteurs qui peuvent être proconcurrentiels ou bénins. Les accords de non-débauchage et de fixation des salaires sont autant d’exemples de complots entre acheteurs nuisibles qui devraient être assujettis aux dispositions de la Loi en matière criminelle. Toutefois, il faudrait faire davantage pour déterminer si d’autres types d’accords entre acheteurs, comme les gros acheteurs qui conviennent d’un prix d’achat auprès de petits fournisseurs, justifient un traitement semblable.

Recommandation 5.1 (Complots entre acheteurs) : Les complots nuisibles entre acheteurs échappent à l’examen des dispositions de la Loi en matière criminelle. La loi devrait explicitement prévoir la possibilité de poursuite criminelle pour les complots nuisibles entre acheteurs, notamment les accords de fixation des salaires et de non-débauchage.

5.2. Un accord « porté à la connaissance » devrait être une défense limitée à la présentation d’offres conjointes

Selon l’article 47 de la Loi, constitue une infraction criminelle, en réponse à un appel ou à une demande d’offres ou de soumissions, le fait que deux ou plusieurs parties s’entendent pour s’abstenir de présenter ou de retirer une soumission soumise ou que deux ou plusieurs soumissionnaires s’entendent sur les conditions des soumissions présentées. Toutefois, l’infraction de truquage d’offres n’est pas commise si la personne qui demande les offres ou les soumissions est informée de l’entente conclue entre les parties au moment de la présentation ou avant. On parle communément d’élément de l’infraction « porté à la connaissance ».

Des commentateurs externes ont fait observer que l’élément « porté à la connaissance » peut être trop général pour servir son objectifNote de bas de page 139. Le but visé par l’accord « porté à la connaissance » est d’accroître la concurrence en permettant à des consortiums d’appels d’offres avantageux de présenter des offres conjointes. Toutefois, son interprétation et son application ont évolué pour s’appliquer au-delà de l’offre conjointe de plusieurs soumissionnaires, qui ont présenté une seule offre conjointe, pour inclure plusieurs soumissionnaires qui ont présenté plusieurs offres convenues qui réduisent le bien-être économique et nuisent à la concurrence.

De plus, la formulation actuelle de la disposition impose à la Couronne le fardeau de démontrer que l’accord n’a pas été porté à la connaissance de la personne qui a demandé les offres ou les soumissionsNote de bas de page 140. Rédigé par le Parlement à titre d’élément négatif, sans autre orientation législative, elle peut être interprétée comme imposant un fardeau extraordinaire à la Couronne.

Recommandation 5.2 (porter à la connaissance d’une personne un système de truquage d’offres) : L’élément « porté à la connaissance » de la disposition de la Loi sur le truquage d’offres ne protège pas suffisamment la concurrence. La Loi devrait établir que l’élément « portée à la connaissance » est une défense qui ne peut être invoquée que lorsque la conduite est directement liée à la présentation d’une seule offre conjointe.

5.3. Les amendes devraient être cohérentes et suffisantes pour décourager les comportements anticoncurrentiels

Les amendes pénales prévues par la Loi varient considérablement selon l’infraction commise, même lorsque les infractions portent sur des types de comportements semblables. Par exemple, les auteurs de complot (article 45 de la Loi) peuvent être condamnés à une amende maximale de 25 millions de dollars, tandis que les infractions de truquage d’offres (article 47) sont passibles d’une amende que le tribunal estime indiquéeNote de bas de page 141. On ignore pourquoi le montant des amendes à la disposition du tribunal varie d’un article à l’autre, d’autant plus que le truquage d’offres n’est qu’un type particulier de complot.

En outre, le niveau actuel des amendes pénales peut ne pas être adapté à l’objectif souhaité. Les amendes pénales prévues par la loi ne sont pas simplement une mesure punitive; elles jouent plutôt un rôle crucial dans la promotion de la conformité en dissuadant les comportements anticoncurrentiels. Lorsque les amendes maximales sont trop basses, tout montant d’amende qui en résulte peut être éclipsé par les gains privés associés au comportement, en particulier pour les grandes entreprises dont les recettes se chiffrent en milliards de dollars. Dans ces circonstances, de telles amendes risquent de devenir simplement le « coût à assumer pour transiger », plutôt que d’agir comme une force significative pour prévenir une conduite anticoncurrentielle hautement préjudiciableNote de bas de page 142.

Cette question est amplifiée par le fait que les amendes maximales prévues par la Loi pour les complots sont en décalage avec celles imposées par les administrations internationales homologues. Les lois sur la concurrence aux États-UnisNote de bas de page 143, dans l’Union européenneNote de bas de page 144 et dans d’autres paysNote de bas de page 145 prévoient des amendes beaucoup plus lourdes qui peuvent augmenter en fonction des recettes des parties ou du volume de commerce touché par l’infraction. Par conséquent, les amendes réelles imposées dans ces administrations sont souvent beaucoup plus élevées que les amendes prévues par la Loi. Par exemple :

  • Le département américain de la Justice a obtenu une amende de 925 millions de dollars américains (1,18 milliard de dollars canadiens) contre Citicorp pour son implication dans le cartel LIBORNote de bas de page 146.
  • La Commission européenne a condamné Daimler à une amende de 1 milliard d’euros (1,4 milliard de dollars canadiens) pour sa participation à un cartel impliquant des producteurs de camionsNote de bas de page 147.
  • L’autorité française responsable de la concurrence a condamné L’Oréal à une amende de 189 millions d’euros (270 millions de dollars canadiens)Note de bas de page 148.
  • L’autorité japonaise responsable de la concurrence a condamné une société de construction de routes à une amende de 12,8 milliards de yens (140 millions de dollars canadiens) pour avoir fixé le prix de l’asphalteNote de bas de page 149.

Des montants d’amende appropriés en vertu de la Loi serviraient à une double fin. Premièrement, ils enverraient aux entreprises un message selon lequel le Canada est aussi sérieux que tout autre pays en ce qui concerne la prévention du comportement des cartels. Deuxièmement, ils permettraient à la Loi de punir non seulement les comportements passés, mais aussi d’agir comme un puissant moyen de dissuasion pour mettre fin aux comportements anticoncurrentiels.

Recommandation 5.3 (Amendes) : Les amendes pour les infractions de complots et de truquage des offres sont incohérentes et, pour les complots, insuffisantes pour dissuader les comportements anticoncurrentiels. Il faudrait les rendre cohérentes dans l’ensemble des dispositions et les renforcer afin de dissuader efficacement les comportements manifestement nuisibles des cartels.

6. Pratiques commerciales trompeuses

La publicité est importante pour la concurrence. Elle permet aux entreprises d’informer leurs clients sur leur domaine d’avantage concurrentiel, que ce soit le prix, la qualité, l’innovation ou un autre attribut qui est précieux pour les consommateurs. Sans publicité, les entreprises ont moins de moyens d’attirer les consommateurs et ces derniers sont moins informés de leurs choix.

Mais les publicités ne sont utiles que lorsqu’elles communiquent des renseignements véridiques. Lorsque les consommateurs sont induits en erreur, la concurrence en souffre et les marchés écopent. Les concurrents honnêtes perdent leurs ventes et les consommateurs finissent par avoir des biens et des services qui ne sont pas le meilleur choix pour eux. À cet égard, les pratiques commerciales trompeuses sont tout aussi néfastes que d’autres pratiques commerciales qui tentent d’augmenter les prix, de réduire les choix ou d’avoir un effet négatif sur l’innovation; elles faussent la concurrence au détriment des Canadiens. Par conséquent, la Loi contient un certain nombre de dispositions visant à décourager les pratiques commerciales trompeuses.

Bon nombre des dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses n’ont pas été mises à jour de façon substantielle depuis plus d’une décennie. Depuis, l’expérience de l’application de la loi a révélé plusieurs lacunes dans ces dispositions. Plus particulièrement :

  • la pratique de l’affichage de « prix partiels », c’est-à-dire la présentation d’un prix à un consommateur, tout en dissimulant les frais obligatoires jusqu’à plus tard dans le processus d’achat, n’est pas explicitement reconnue comme nuisible dans la Loi;
  • le commissaire assume le lourd fardeau, en vertu de la disposition sur le prix de vente habituel, de prouver que les rabais annoncés ne sont pas véritables;
  • les dispositions ne sont pas cohérentes quant à la manière dont elles prévoient des recours civils et des sanctions pénales;
  • les sanctions pécuniaires peuvent être trop basses et les autres recours peuvent être trop faibles, ce qui rend difficile la conformité à la Loi.

Chacune de ces lacunes devrait être comblée afin de s’assurer que les consommateurs disposent de renseignements exacts et véridiques sur lesquels fonder leurs décisions d’achat.

6.1. La Loi devrait interdire explicitement l’affichage de prix partiels

Les annonceurs peuvent parfois manipuler l’information sur les prix à l’aide de ce que l’on appelle souvent des pratiques d’affichage de « prix partiels ». Cela se produit lorsqu’un annonceur fait la promotion d’un article à un prix, tout en dissimulant le prix réel aux consommateurs jusqu’à plus tard dans le processus d’achat. Les consommateurs qui sont attirés par le prix initialement annoncé peuvent décider de procéder à un achat. Toutefois, au moment où le consommateur « passe à la caisse », des coûts obligatoires supplémentaires sont ajoutés, et le prix final du produit peut être beaucoup plus élevé.

Depuis des années, le commissaire a pris des mesures d’application de la loi contre cette pratique en utilisant la disposition sur les indications fausses ou trompeuses de l’article 74.01 de la Loi. Bien que cette approche ait été efficace, elle a nécessité des ressources importantes pour prouver aNote de bas de page 150u tribunal, dans tous les cas, pourquoi l’affichage de prix partiels est trompeur.

Recommandation 6.1 (Affichage de prix partiels) : La pratique de l’affichage de « prix partiels », c’est-à-dire la présentation d’un prix à un consommateur, tout en dissimulant les frais obligatoires jusqu’à plus tard dans le processus d’achat, n’est pas explicitement reconnue comme nuisible dans la Loi. Le contrôle d’application de la Loi serait rendu plus efficace si l’on confirmait qu’il s’agit d’une pratique nuisible.

6.2. Les vendeurs devraient assumer le fardeau de prouver que les rabais sont réels

Une autre technique d’établissement des prix trompeuse consiste à offrir de faux rabais. Les entreprises peuvent faire la promotion d’un prix comme étant un rabais alors qu’en fait le prix annoncé est le prix habituel du produit. Cette conduite est interdite en vertu des dispositions relatives au prix de vente habituel (« PVH ») de la LoiNote de bas de page 151. Ces dispositions reconnaissent que les indications d’économie augmentent la probabilité que les consommateurs achètent auprès de l’annonceur et diminuent la probabilité qu’ils magasinent pour trouver une meilleure aubaineNote de bas de page 152. Cela signifie que les consommateurs obtiennent moins de valeur que prévu, et que les concurrents honnêtes ont moins de chances de gagner ces ventes.

Le cadre actuel du PVH dans la Loi impose au commissaire le lourd fardeau de prouver que les indications d’économies sont trompeuses. Pour que le Bureau puisse évaluer la véracité d’une publicité unique, il doit recueillir et analyser de grands volumes de données sur les ventes et la commercialisation et présenter ces analyses aux tribunaux de façon compacte et significative. À l’inverse, l’annonceur n’a pas le fardeau de démontrer que l’indication qu’il a donnée représentait un véritable rabaisNote de bas de page 153.

Recommandation 6.2 (Prix de vente habituel) : Le commissaire assume le lourd fardeau, en vertu de la disposition sur le prix de vente habituel, de prouver que les rabais annoncés ne sont pas véritables. Le fardeau de preuve pour les questions de prix de vente habituel devrait être inversé, de sorte que les annonceurs assument le fardeau de prouver que les rabais annoncés sont, en fait, véridiques.

6.3. Une plus grande flexibilité est nécessaire pour les enquêtes sur les pratiques commerciales trompeuses

La Loi contient un certain nombre de dispositions visant à protéger les consommateurs contre les pratiques commerciales trompeuses. Toutefois, ces dispositions ne sont pas cohérentes dans la façon dont elles traitent la conduite trompeuse. Certaines pratiques trompeuses peuvent être traitées au civil, tandis que d’autres sont susceptibles d’examen au pénal. D’autres encore peuvent être traités au civil ou au pénal.

Par exemple, la Loi ne prévoit que des sanctions pénales pour le télémarketing trompeurNote de bas de page 154. Ces règles sont importantes pour protéger les consommateurs. Toutefois, traiter toutes les violations de ces règles comme criminelles peut ne pas toujours être dans l’intérêt public. Par exemple, quelqu’un peut vendre par téléphone sans fournir toutes les divulgations requises en vertu de la Loi. En même temps, cette personne peut ne rien faire pendant l’appel pour induire un consommateur en erreur. Dans de telles circonstances, il peut être préférable de traiter ce comportement devant les tribunaux civils plutôt que d’intenter des poursuites pénales. La procédure civile pourrait fournir une réponse plus proportionnée à la conduite. Elle pourrait aussi alléger les exigences procédurales et les fardeaux de preuve par rapport aux poursuites pénales, ce qui pourrait conduire à des résolutions plus rapides. Toutefois, ce n’est pas une option actuellement en vertu de la Loi, ce qui peut conduire à une sous-application de ces règlesNote de bas de page 155.

En outre, les différences entre les recours civils et les sanctions pénales dans les articles relatifs aux pratiques commerciales trompeuses font qu’il peut être difficile de régler un problème dans un seul cas. Par exemple, un annonceur peut donner des indications liées à un concours auprès des consommateurs sur un site Web, dans des publipostages, dans les médias sociaux et lors d’appels de télémarketing. S’il y avait des allégations voulant que des indications trompeuses aient été données dans ces médias, alors en vertu de la loi, le site Web et les indications données dans les médias sociaux pourraient faire l’objet d’une enquête en vertu des règles civiles ou des dispositions pénales. En revanche, les indications de télémarketing et de publipostage ne pouvaient être examinées qu’en vertu des dispositions pénales. Cela cause des obstacles qui peuvent empêcher le commissaire de traiter efficacement toutes les indications dans un seul cas.

Recommandation 6.3 (Harmonisation des dispositions pénales et civiles) : Les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses ne sont pas cohérentes dans la façon dont elles prévoient des recours civils et des sanctions pénales. La Loi devrait prévoir des voies de recours tant pénales que civiles afin de permettre à la gravité de la conduite trompeuse de dicter la façon dont elle est traitée.

6.4. La Loi a besoin de meilleurs recours pour lutter contre les comportements trompeurs

Les consommateurs méritent d’être protégés contre les entreprises qui utilisent des techniques trompeuses. Cependant, de nombreux grands annonceurs ont peu à craindre et beaucoup à gagner de ce genre de tromperie envers les consommateurs. Compte tenu de cette réalité, il est important que la Loi fournisse des outils adaptables et flexibles pour s’assurer que ceux qui se livrent à des pratiques commerciales trompeuses comprennent qu’ils doivent se conformer à la loi.

En termes d’adaptabilité, les sanctions administratives pécuniaires ont été un outil principal pour encourager le respect des interdictions de pratiques commerciales trompeuses. Comme la disposition sur l’abus de position dominante, les sanctions sont plafonnées à un maximum de 10 millions de dollars pour une ordonnance initiale et de 15 millions de dollars pour une ordonnance subséquenteNote de bas de page 156. Les sanctions plafonnées à de tels montants peuvent permettre d’assurer la conformité pour de nombreuses petites et moyennes entreprises, mais pour les plus grandes entreprises du monde, qui gagnent des milliards de dollars en recettes, ces sanctions pourraient souvent représenter une somme dérisoire. Les tribunaux ont besoin de la latitude nécessaire pour s’attaquer aux pratiques trompeuses commises par toutes les entreprises. Cela exige la capacité d’imposer des sanctions plus sévères lorsque les circonstances l’exigentNote de bas de page 157.

Pour ce qui est de la souplesse, les tribunaux ont accès à des recours lorsqu’ils traitent avec des parties privées qui ne sont pas disponibles lorsqu’ils tentent d’aborder des infractions à la Loi. Par exemple, si un fournisseur de services se livre à une campagne publicitaire trompeuse afin d’encourager les consommateurs à conclure un contrat pluriannuel, la Loi n’autorise pas l’annulation de ces contrats. Ainsi, les victimes peuvent être obligées de continuer à payer la personne qui les a trompées, même lorsqu’elles ont été induites en erreur dans la conclusion d’un contrat. Non seulement les consommateurs sont directement lésés parce qu’ils ont été privés de ce qu’ils ont accepté, mais le marché l’est lui-même, parce que le consommateur n’est pas en mesure de reprendre son argent et d’acheter des services comparables ailleurs. Dans de telles circonstances, la Loi devrait offrir une plus grande latitude pour s’assurer que des recours appropriés sont disponibles.

Les recours efficaces servent à assurer la conformité à la Loi. Si les recours doivent être établis compte tenu des détails de chaque cas, les recours actuellement disponibles en vertu des dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses sont généralement limités et inflexibles et devraient être adaptés pour s’assurer qu’ils peuvent atteindre l’objectif souhaité.

Recommandation 6.4 (Mesures correctives et sanctions) : Les sanctions pécuniaires peuvent être trop basses et les autres recours peuvent être trop faibles, ce qui rend difficile la conformité à la Loi. Les sanctions pécuniaires devraient être augmentées et la Loi devrait offrir un plus large éventail de recours pour contrer les pratiques trompeuses.

7. Études de marché

La Loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada. Toutefois, l’application rigoureuse des dispositions d’application de la Loi n’est pas le seul élément nécessaire pour atteindre cet objectifNote de bas de page 158. C’est pourquoi le Parlement a confié au commissaire le mandat d’agir à titre d’expert en concurrence du Canada dans la prise de décisions gouvernementales.

Les articles 125 et 126 de la Loi confèrent au commissaire le pouvoir de « présenter des observations et soumettre des éléments de preuve devant » les organismes de réglementation fédéraux, provinciaux et municipaux du CanadaNote de bas de page 159. Pour ce faire, le Bureau a notamment entrepris des études de marché. Ces études permettent une évaluation générale de la concurrence dans un secteur de l’économie canadienne. Ce mode d’analyse est sensiblement différent du mandat du Bureau en matière de contrôle d’application de la loi, qui est habituellement axé sur la question de savoir si une entreprise a contrevenu à une disposition particulière de la Loi. Les études de marché adoptent une approche plus globale pour étudier les caractéristiques du marché qui peuvent restreindre la concurrence. À la suite de cette analyse, les études de marché font généralement des recommandations sur la façon d’atténuer ces restrictions.

Les études de marché peuvent être d’une grande importance pour l’élaboration de politiques éclairées. Par exemple, l’étude de marché de 2016 du Bureau sur l’innovation axée sur la technologie dans le secteur canadien des services financiers a suscité des mesures de réglementation importantes pour appuyer une plus grande innovation et la concurrenceNote de bas de page 160. À l’échelle internationale, il a été démontré que les études de marché présentent des avantages importants, notamment :

  • des études de marché menées par l’autorité responsable de la concurrence du Royaume-Uni ont guidé la création du code de conduite de l’épicerie du Royaume Uni et de son cadre bancaire ouvertNote de bas de page 161,Note de bas de page 162;
  • l’Australie a adopté un code de conduite exécutoire pour traiter ce qu’elle a désigné, par une étude de marché, comme un déséquilibre du pouvoir de négociation entre les éditeurs de nouvelles et les plateformes numériquesNote de bas de page 163;
  • la FTC des États-Unis a utilisé ses pouvoirs d’étude de marché pour examiner les acquisitions passées par de grandes entreprises de technologie afin de déterminer si l’agence n’a pas manqué des transactions problématiquesNote de bas de page 164.

Les études de marché peuvent également jouer un rôle dans l’évaluation des répercussions des mesures de contrôle d’application de la loi. Par exemple, le Bureau of Economics de la FTC des États-Unis a utilisé les pouvoirs d’étude de marché de son agence pour étudier rétrospectivement l’incidence des fusionnements et des mesures correctives en matière de fusionnement depuis plus de 35 ansNote de bas de page 165. Ces études peuvent aider à calibrer les processus internes d’une autorité responsable de la concurrence. Elles peuvent également permettre de découvrir des situations où, après un examen de contrôle d’application de la loi, les marchés ont évolué de manière imprévue.

Toutefois, le Bureau doit relever deux défis importants dans la réalisation d’études de marché :

  • Le commissaire n’a pas actuellement le pouvoir de contraindre la production d’information pertinente aux études de marché.
  • Les décideurs peuvent ne pas tenir compte des recommandations formulées par le Bureau dans le cadre de ses activités de promotion de la concurrence.

La résolution de ces questions renforcera le programme de promotion de la concurrence du Bureau et aidera à faire en sorte que les Canadiens prospèrent grâce à un marché concurrentiel et innovateur.

7.1. Le commissaire a besoin de pouvoirs de collecte d’information pour les études de marché

Le commissaire n’a pas de pouvoirs officiels de contraindre la production d’information pertinente aux études de marché. Cela contraste avec les pouvoirs de nombreuses autorités responsables de la concurrence dans le monde, dont l’Union européenneNote de bas de page 166, les États-UnisNote de bas de page 167 et le Royaume-UniNote de bas de page 168.

Dans le cadre des études de marché, le Bureau s’appuie plutôt sur l’information accessible au public, l’information déjà en sa possession et l’information fournie volontairement par les intervenants. Cela peut limiter l’approche analytique du Bureau dans les études de marché. Par exemple, contrairement aux dossiers de contrôle d’application de la loi, le Bureau n’effectue souvent pas d’analyse économétrique au cours des études de marché. Cela est dû au fait que les données sous-jacentes peuvent être difficiles à collecter sur une base volontaire. Un manque d’information pertinente peut nuire à la capacité du Bureau de diagnostiquer les problèmes de concurrence. Cela, à son tour, limite l’étendue des conseils fondés sur des données probantes que le Bureau peut fournir aux décideurs.

Les observateurs extérieurs, dont l’OCDE, demandent instamment que le commissaire soit expressément en mesure de contraindre les intervenants à produire des renseignements pertinentsNote de bas de page 169.

Recommandation 7.1 (Pouvoirs de collecte de renseignements pour les études de marché) : Le commissaire n’a pas actuellement le pouvoir de contraindre la production d’information pertinente aux études de marché. La Loi devrait fournir des outils efficaces de collecte d’information pour appuyer cet aspect important du travail du Bureau.

7.2. Les organismes de réglementation devraient être tenus de répondre aux études de marché

Les études de marché se concentrent généralement sur la détermination des restrictions à la concurrence. Cette analyse permet au Bureau de formuler des recommandations sur la façon d’atténuer ces restrictions. Selon les articles 125 et 126 de la Loi, ces recommandations visent habituellement les organismes de réglementation fédéraux, provinciaux et municipaux du CanadaNote de bas de page 170.

Toutefois, ces organismes de réglementation n’ont aucune obligation de donner suite aux recommandations que le Bureau fait dans le cadre d’études de marché. Cela peut limiter l’efficacité ultime des études de marché et imposer au Bureau un fardeau considérable pour tenter d’orchestrer le changementNote de bas de page 171.

À l’échelle internationale, certaines administrations obligent explicitement les organismes de réglementation à répondre aux études de marché. Au Royaume-Uni, le gouvernement s’est engagé à répondre publiquement aux études de marché entreprises par son autorité responsable de la concurrence dans un délai de 90 joursNote de bas de page 172. De même, en Nouvelle-Zélande, un fonctionnaire du gouvernement est tenu de répondre aux études de marché [traduction] « dans un délai raisonnable Note de bas de page 173». L’OCDE a reconnu la valeur de cette fonction d’intervention dans son étude économique du Canada de 2016 et a recommandé qu’elle soit mise en œuvre dans le cadre d’un régime efficace d’études de marché au CanadaNote de bas de page 174.

Recommandation 7.2 (Réponses aux recommandations) : Les décideurs peuvent ne pas tenir compte des recommandations formulées par le Bureau dans le cadre de ses activités de promotion de la concurrence. Dans la mesure du possible, les organismes de réglementation et les autres organismes gouvernementaux concernés devraient être tenus de donner suite aux recommandations du Bureau dans un délai déterminé.

8. Questions transsectorielles

En plus des questions qui sont plus directement liées à des dispositions de fond précises de la Loi, il y a un certain nombre de questions transsectorielles qui devraient être abordées afin de s’assurer que le cadre de politique de la concurrence du Canada demeure adapté à l’objectif souhaité. Plus particulièrement :

  • les litiges en matière de concurrence au Canada peuvent prendre beaucoup de temps et nécessiter énormément de ressources, ce qui peut prendre plusieurs années;
  • le commissaire, qui agit dans l’intérêt public, fait face aux mêmes risques relatifs aux dépens qu’une partie privée;
  • les exigences procédurales relatives aux pouvoirs actuels du commissaire en matière de collecte de renseignements en vertu de la Loi sont devenues disproportionnées et risquent de retarder indûment les enquêtes;
  • les pouvoirs d’ordonnance judiciaire à l’égard des étrangers sont actuellement limités dans leur application pratique;
  • les cibles d’une enquête sont actuellement autorisées à assister aux interrogatoires des personnes qui fournissent des renseignements à une enquête du Bureau;
  • le non-respect des consentements ne peut à l’heure actuelle être réglé que sur la base d’une norme pénale;
  • la norme applicable aux entreprises pour obtenir la permission d’avoir des droits d’accès privés au Tribunal peut être trop élevée, ce qui signifie que la plupart des entreprises qui demandent cette permission ne satisfont pas en fin de compte aux normes établies dans la Loi;
  • la coopération internationale entre les autorités responsables de la concurrence est actuellement limitée par un certain nombre de facteurs.

Une réforme est nécessaire pour traiter chacune de ces questions. Cette réforme permettra au commissaire, au Bureau et à la Loi de suivre le rythme dans le contexte moderne.

8.1. Les litiges en matière de concurrence au civil devraient être simplifiés et accélérés

Il y a une tension dans la rapidité des litiges en matière de concurrence au civilNote de bas de page 175. Les affaires de concurrence sont souvent des exemples complexes de litiges commerciaux. Cette complexité a une incidence sur le rythme des litiges en matière de concurrence, de sorte que la durée de ces litiges est souvent mesurée en années, et non en mois. En particulier sur les marchés en évolution rapide, on se demande si et comment les procédures de concurrence peuvent suivre le rythmeNote de bas de page 176.

Les affaires récentes en matière de concurrence au civil instruites ont duré de trois à sept ans. Tout au long de ce processus, les parties au litige peuvent participer à une ou à plusieurs procédures complètes devant le Tribunal, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada, entre autres tribunaux. Le tableau 1 donne des détails sur la date de la demande initiale et la date de la décision finale pour cinq affaires récentes.

Tableau 1 : Durée des procès intentés récemment en vertu du droit de la concurrence
PartiesDépôt de la demandeDate de finDurée
Commissaire c. Administration aéroportuaire de Vancouver Le 29 septembre 2016 Le 17 octobre 2019
(Décision du Tribunal, sans appel)
3 ans, 1 mois et 8 jours
Commissaire c. The Toronto Real Estate Board Le 27 mai 2011 Le 23 août 2018
(La Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation après la deuxième décision de la Cour d’appel fédérale)
7 ans, 2 mois et 27 jours
Commissaire c. CCS Corporation (Tervita) Le 24 janvier 2011 Le 22 janvier 2015
(Décision de la Cour suprême du Canada)
3 ans, 11 mois et 29 jours
Commissaire c. Visa et MasterCard Le 15 décembre 2010 Le 23 juillet 2013
(Décision du Tribunal, sans appel)
2 ans, 7 mois et 8 jours
Commissaire c. Chatr Wireless Le 19 novembre 2010 Le 21 février 2014
(Décision de la Cour supérieure de l’Ontario, sans appel)
3 ans, 3 mois et 2 jours

Les affaires en matière de droit de la concurrence peuvent être complexes, et chaque partie a droit à l’équité procédurale et à l’application régulière de la loi devant le Tribunal et les tribunaux. De même, le Tribunal et les tribunaux ont besoin de temps pour examiner attentivement la preuve. Toutefois, ces facteurs doivent être évalués en fonction du coût d’une incertitude prolongée qui peut avoir une incidence sur le bien-être économique des consommateurs et des entreprises touchés par les affaires en matière de concurrence.

Recommandation 8.1 (Rapidité du litige) : Les litiges en matière de concurrence au Canada peuvent prendre beaucoup de temps et nécessiter énormément de ressources, ce qui peut prendre plusieurs années. Le litige devrait être simplifié et accéléré dans la mesure du possible, tout en maintenant l’équité procédurale et l’application régulière de la loi, afin que le commissaire et les entreprises privées puissent obtenir rapidement la certitude nécessaire pour fonctionner dans un monde en évolution rapide.

8.2. Le commissaire devrait être protégé contre l’attribution de dépens

Même si le commissaire agit dans l’intérêt public, il fait face aux mêmes risques relatifs aux dépens qu’une partie privée. Dans certains cas, le Tribunal et les tribunaux ont le pouvoir d’ordonner qu’une partie qui n’a pas obtenu gain de cause paie des dépens à la personne qui a obtenu gain de cause Note de bas de page 177. Ce pouvoir vise à réduire les litiges frivoles et vexatoires, ou plus généralement stratégiques. Il n’est cependant pas évident pourquoi ce principe, développé dans le contexte des parties privées et non gouvernementales, devrait s’appliquer à un fonctionnaire qui, nécessairement, agit dans l’intérêt public.

Ce système ne tient pas compte des avantages publics du contrôle d’application de la loi sur la concurrence. Contrairement à une partie privée, le commissaire intente des poursuites pour protéger l’intérêt public. On peut protéger cet intérêt public en préservant et en favorisant la concurrence dans l’économie canadienne. Cela est très différent des intérêts privés que les parties privées cherchent à protéger, des affaires où l’intérêt public ne peut être protégé qu’incidemment.

L’attribution des dépens a un effet dissuasif sur la capacité du commissaire d’assurer et de contrôler l’application de la Loi. Le Bureau est un organisme public à ressources limitées. La menace d’une importante attribution de dépens, qui a récemment dépassé 1 million de dollarsNote de bas de page 178, nécessite une planification d’urgence pendant la période de tout litige. Cela fait en sorte que des montants importants de ressources financières du Bureau ne sont pas affectés à d’autres enquêtes.

La protection du commissaire contre l’attribution des dépens ne serait pas sans précédent dans la législation fédérale. D’autres fonctionnaires, comme le commissaire aux brevets, n’ont pas à payer de dépens en vertu de leur législationNote de bas de page 179. Une protection semblable pour le commissaire reconnaîtrait la valeur publique des demandes du commissaire et permettrait une application ou un contrôle d’application de la Loi plus efficace.

Recommandation 8.2 (Attribution de dépens) : Le commissaire, qui agit dans l’intérêt public, fait face aux mêmes risques relatifs aux dépens qu’une partie privée. La Loi devrait explicitement protéger le commissaire contre l’attribution de dépens.

8.3. Les pouvoirs de collecte de renseignements au civil devraient être rationalisés

Des outils efficaces de collecte de renseignements sont essentiels à l’application ou contrôle d’application de la Loi. Le Bureau doit avoir accès à l’information pertinente sur le marché en temps opportun afin de faire progresser ses enquêtes. Les renseignements recueillis auprès des acteurs du marché servent de base à l’établissement de conclusions factuelles et à l’évaluation des effets sur la concurrence. Ces renseignements peuvent également servir d’éléments de preuve dans les affaires contestées.

L’article 11 de la Loi confère au commissaire le pouvoir de demander des ordonnances ex parte aux tribunaux pour obtenir des témoignages oraux ou la production de documents ou de déclarations écrites. Toutefois, le processus d’obtention de telles ordonnances, établi par la jurisprudence pertinente, exige du commissaire qu’il s’adresse à un tribunal en lui présentant des pièces justificatives volumineuses. Bien que les garanties procédurales soient appropriées, le processus d’obtention des ordonnances judiciaires peut être difficile et long. Cela peut entraîner des retards dans les enquêtes du Bureau. Ces retards peuvent être graves lorsque le Bureau a besoin de renseignements dans un bref délai, par exemple dans le cadre d’examens de fusionnements qui ont des délais légauxNote de bas de page 180 ou lorsqu’il y a un comportement continu qui peut causer un dommage irréparable.

Les exigences relatives aux ordonnances visées à l’article 11 sont devenues disproportionnées. La production d’une demande d’ordonnance en vertu de l’article 11 exige la préparation d’un affidavit et d’observations écrites. Le Bureau doit également effectuer une recherche dans ses documents internes afin de s’assurer que les renseignements demandés dans l’ordonnance proposée ne sont pas déjà en sa possession. En tenant compte du délai de réponse à l’ordonnance, il peut s’écouler plusieurs mois avant que le Bureau ne reçoive les renseignements essentiels à la poursuite de ses enquêtes. En outre, lorsque des ordonnances en vertu de l’article 11 sont requises à l’égard de plusieurs entreprises dans le cadre d’une même enquête, ces exigences procédurales peuvent se multiplier.

En revanche, les autorités responsables de la concurrence d’autres administrations sont en mesure d’exiger l’information en matière civile sans autorisation judiciaire. Par exemple :

  • Le département américain de la JusticeNote de bas de page 181 et la FTC des États-UnisNote de bas de page 182 peuvent faire des [TRADUCTION] « demandes d’enquête civile » pour la production documentaire, les déclarations écrites ou les témoignages.
  • La Australian Competition and Consumer Commission peut directement exiger de tels renseignementsNote de bas de page 183.
  • La Commission européenne peut exiger que des renseignements soient fournisNote de bas de page 184.

Certains autres organismes canadiens d’application de la loi ont des pouvoirs semblables. Par exemple, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario a le pouvoir d’exiger des documents ou des témoignagesNote de bas de page 185.

Par rapport au processus d’ordonnance judiciaire prévu dans la Loi, ces autres processus permettent de présenter des demandes plus rapidement. De plus, dans ces systèmes, les répondants ont généralement la capacité de contester la demande devant les tribunaux. Le déroulement de telles contestations est semblable au critère existant au Canada pour annuler ou modifier une ordonnance ex parte, c’est-à-dire s’il existe suffisamment d’éléments de preuve que l’ordonnance n’aurait pas dû être rendueNote de bas de page 186.

Recommandation 8.3 (Collecte de renseignements au civil) : Les exigences procédurales relatives aux pouvoirs actuels du commissaire en matière de collecte de renseignements en vertu de la Loi sont devenues disproportionnées et risquent de retarder indûment les enquêtes. Le commissaire devrait avoir accès à des pouvoirs rationalisés de collecte de renseignements dans les affaires susceptibles d’examen au civil, afin de s’assurer que le Bureau puisse avoir accès aux éléments de preuve pertinents de façon opportune, efficace et simple.

8.4. Les pouvoirs d’ordonnance judiciaire à l’égard des étrangers devraient être clarifiés

La Loi est limitée dans sa capacité de contraindre des personnes étrangères à fournir des renseignements. Cela crée un écart important dans l’environnement de la politique de concurrence du Canada. Cet écart peut permettre aux entreprises de soustraire des renseignements à l’œil du Bureau lorsque ces renseignements sont détenus par une société étrangère affiliée.

Bien que le paragraphe 11(2) de la Loi permette aux tribunaux d’exiger d’une société qu’elle produise des renseignements de ses affiliées étrangèresNote de bas de page 187, l’application pratique de cette disposition est considérablement limitée pour au moins quatre raisons :

  • Premièrement, il y a eu des cas où l’affiliée étrangère a refusé de fournir les renseignements, ce qui signifie que le commissaire se voit refuser l’accès à des renseignements pertinents à son enquêteNote de bas de page 188.
  • Deuxièmement, ces ordonnances ne peuvent contraindre que la production de documents. Elles ne peuvent pas exiger un témoignage oral ou des déclarations écrites de renseignements, qui sont autrement disponibles en vertu de la Loi.
  • Troisièmement, dans le cas de telles demandes, le commissaire doit assumer le fardeau élevé de preuve que l’affiliée étrangère détient les documents en question. Cela est différent de l’exigence de fond énoncée dans d’autres ordonnances visées à l’article 11, qui exige de démontrer seulement qu’une personne est susceptible d’avoir les dossiers.
  • Quatrièmement, le paragraphe 11(2) ne s’applique que lorsque des renseignements sont également demandés à une société canadienne.

Pour remédier à ces problèmes, la Loi devrait donner un pouvoir plus large de rendre des ordonnances à l’encontre de personnes étrangères. Dans un monde de plus en plus mondialisé, toute distinction fondée sur la nationalité peut se révéler de plus en plus infructueuse, puisque les comportements qui ont une incidence sur le Canada peuvent être dirigés, voire exécutés, par des étrangers.

Recommandation 8.4 (Collecte de renseignements auprès de personnes étrangères) : Les pouvoirs d’ordonnance judiciaire à l’égard des étrangers sont actuellement limités dans leur application pratique. Ces pouvoirs devraient être précisés afin de protéger la capacité du Bureau de recevoir tous les renseignements nécessaires à l’appui de ses enquêtes d’application de la loi.

8.5. Les cibles d’une enquête devraient se voir interdire l’accès aux interrogatoires

L’alinéa 11(1)a) de la Loi permet aux tribunaux d’ordonner l’interrogatoire d’une personne sous serment ou affirmation solennelle dans le cadre d’une enquête du Bureau. Toutefois, lorsqu’un tel interrogatoire concerne un tiers, le paragraphe 12(4) de la Loi permet à toute personne visée par une enquête d’être présente à l’interrogatoire.

Le Bureau peut demander à ce que les cibles soient exclues de l’interrogatoire. Le paragraphe 12(4) permet de telles exclusions lorsqu’il peut être établi que la présence de la cible : (1) « entraverait le bon déroulement de l’interrogatoire ou de l’enquête » ou (2) « entraînerait la divulgation de renseignements de nature commerciale confidentielsNote de bas de page 189 ». Ces conditions sont souvent remplies dans les enquêtes du Bureau. Toutefois, le processus d’obtention d’une telle ordonnance d’exclusion est à la fois fastidieux et chronophage à la fois pour le Bureau, la partie interrogée et le fonctionnaire d’instruction qui supervise l’interrogatoireNote de bas de page 190.

De plus, aucun dommage ne sera subi par une cible exclue d’un interrogatoire. L’interrogatoire est une enquête et ne détermine aucun droit fondamental. S’il y a une procédure subséquente, l’équité procédurale sera abordée à ce moment-là. En dehors d’un droit limité de réinterrogatoire aux fins de clarification, la cible n’aurait en aucun cas le droit de participer à l’interrogatoireNote de bas de page 191.

Recommandation 8.5 (Participation aux interrogatoires) : Les cibles d’une enquête sont actuellement autorisées à assister aux interrogatoires des personnes qui fournissent des renseignements à une enquête du Bureau. Cette disposition devrait être supprimée de la Loi.

8.6. Une norme civile devrait exister pour traiter de la conformité aux consentements

Les consentements sont un outil clé de l’arsenal d’application de la loi du Bureau. Plutôt que de se livrer à des litiges coûteux et longs dans tous les cas où la Loi peut être enfreinte, le commissaire a le pouvoir de négocier des consentements avec les sujets d’une enquête. Une fois que ces consentements sont produits auprès du Tribunal ou des tribunaux, ils ont la même valeur et produisent les mêmes effets qu’une ordonnanceNote de bas de page 192.

Dans la pratique, cependant, il peut être difficile de faire respecter le consentement. Comme les consentements ont la même force et produisent le même effet qu’une ordonnance d’un tribunal, les violations de ces accords peuvent constituer une infraction pénale. Les accusations d’outrage criminel, que ce soit en vertu de l’article 66 de la Loi ou de la common law, doivent être renvoyées au Service des poursuites pénales du Canada (« SPPC ») aux fins de poursuites. Par conséquent, le SPPC, plutôt que le commissaire, conserve le contrôle ultime sur la poursuite. En outre, la norme pénale « hors de tout doute raisonnable » doit être prouvée pour réussir. Subsidiairement, le commissaire peut intenter une procédure d’outrage au civil devant le Tribunal en vertu du paragraphe 8(3) de la Loi sur le Tribunal de la concurrenceNote de bas de page 193. Toutefois, l’outrage civil est de nature quasi criminelle et doit être prouvé hors de tout doute raisonnableNote de bas de page 194.

Pour être clair : la responsabilité pénale en cas de non-conformité est un outil important pour s’assurer que toutes les parties à un consentement respectent les obligations qu’elles ont acceptées. Toutefois, il faudrait ajouter à cela un mécanisme civil, y compris des sanctions administratives pécuniaires, suffisant pour faire respecter les consentements. Un tel système permettrait de traiter plus efficacement et plus facilement les cas de non-conformitéNote de bas de page 195.

Recommandation 8.6 (Conformité au consentement) : Le non-respect des consentements ne peut à l’heure actuelle être réglé que sur la base d’une norme pénale. Il devrait y avoir un mécanisme plus accessible pour permettre au commissaire de demander au Tribunal, en vertu de la norme civile de preuve, les ordonnances exigeant la conformité et, le cas échéant, des sanctions administratives pécuniaires.

8.7. Il faudrait réduire les exigences relatives à la permission de l’accès privé

Les droits d’accès privés au Tribunal sont possibles en vertu de certaines dispositions susceptibles d’examen au civil de la LoiNote de bas de page 196. Toutefois, pour présenter une demande d’accès privé, une partie privée doit d’abord obtenir la permission du TribunalNote de bas de page 197. Certains commentateurs prétendent que la norme pour obtenir une permission est trop élevée et notent que la plupart des entreprises qui demandent cette permission ne satisfont pas en fin de compte aux normes établies dans la LoiNote de bas de page 198.

Plus précisément, Paul Erik Veel souligne qu’il peut être difficile pour les entreprises d’obtenir une permission. Il fait remarquer que les entreprises doivent démontrer qu’elles sont [TRADUCTION] « sensiblement gênées » par la conduite qu’elles souhaitent contester, notant que l’expression [TRADUCTION] « a été interprétée comme exigeant un examen de la question de savoir si l’entreprise dans son ensemble a été sensiblement gênée plutôt que de se contenter d’examiner si un produit ou un secteur de produits particulier de cette entreprise a été gênéNote de bas de page 199 ». M. Veel fait remarquer que cette interprétation peut exiger qu’une entreprise démontre qu’elle a été [TRADUCTION] « pratiquement ruinée » avant d’obtenir un droit d’accès au Tribunal, et peut expliquer pourquoi si peu de demandes de permission ont été accueilliesNote de bas de page 200.

Recommandation 8.7 (Exigences relatives à la permission d’obtenir un accès privé) : La norme applicable aux entreprises pour obtenir la permission d’avoir des droits d’accès privés au Tribunal peut être trop élevée, ce qui signifie que la plupart des entreprises qui demandent cette permission ne satisfont pas en fin de compte aux normes établies dans la Loi. Le critère pour obtenir des droits d’accès privé devrait être examiné pour s’assurer que les entreprises peuvent obtenir une permission appropriée.

8.8. La coopération avec les autorités internationales responsables de la concurrence peut être approfondie

Le Bureau fait partie d’une communauté mondiale d’autorités responsables de la concurrence. Cette communauté est plus importante que jamais, car les entreprises fonctionnent à une échelle plus mondiale, et les actions dans un pays peuvent avoir des effets significatifs dans d’autres. Dans de telles circonstances, de nombreuses autorités responsables de la concurrence sont souvent appelées à enquêter sur la même conduite et à trouver des recours applicables qui tiennent compte des différences dans les lois nationales ou régionales sur la concurrence. En conséquence, la coopération internationale entre les autorités responsables de la concurrence est essentielle au bon fonctionnement de l’application de la loi sur la concurrence.

Toutefois, cette coopération n’est pas toujours sans friction et pourrait être améliorée par les mesures suivantes :

  • Veiller à ce que les bons outils soient en place pour faciliter l’échange de renseignements entre les autorités responsables de la concurrence.
  • Conclure des traités d’entraide juridique qui permettent au Bureau de coopérer plus efficacement avec ses homologues étrangers dans des affaires susceptibles d’examen au civil.
  • Permettre une plus grande compatibilité entre les lois canadiennes et internationales sur la protection des renseignements personnels.

La Loi permet au Bureau de partager des renseignements avec ses partenaires étrangers. Cependant, l’inverse n’est pas toujours vrai. Lorsque les autorités n’ont pas ces pouvoirs formels, elles doivent s’en remettre aux cibles d’une enquête pour qu’elles donnent l’autorisation de partager leurs renseignements, et cette autorisation peut être révoquée à tout moment.

Les traités d’entraide juridique (« TEJ ») aident la coopération internationale et peuvent traiter des cas où les autorités étrangères n’ont pas l’autorisation formelle de partager des renseignements ou de coopérer avec le Bureau. En vertu de ces traités juridiquement contraignants, les autorités étrangères peuvent demander des renseignements ou l’aide du Bureau, et vice versaNote de bas de page 201. Les TEJ permettent généralement à une autorité membre de demander l’aide d’autres autorités membres pour obtenir des renseignements situés dans un autre pays, en utilisant l’autorité de l’agence étrangère pour mener des entrevues, exiger la production de documents et de données pertinents, ou exécuter des mandats de perquisition, selon le cas. Les TEJ existent et ont été utilisés dans le contexte criminelNote de bas de page 202, mais le Canada n’a pas conclu de TEJ pour des actes répréhensibles. Au bout du compte, l’existence d’un TEJ aide chaque autorité responsable de la concurrence à faire son travail; sans cela, les cibles d’une enquête peuvent être moins disposées à coopérer si elles estiment que le Bureau ne peut pas obtenir des renseignements vitaux situés dans des administrations étrangères.

De plus, le manque de compatibilité entre les lois canadiennes et étrangères sur la protection des renseignements personnels s’est avéré un obstacle à la coopération internationale en matière d’application de la loi sur la concurrence. Il s’agit d’une question raisonnablement technique, mais elle revêt une importance évidente pour l’échange d’information entre les organismes. Les autorités étrangères peuvent être disposées à partager des renseignements avec le Bureau, mais, pour ce faire, elles doivent être assurées que ces renseignements seront utilisés, divulgués, conservés et éliminés conformément à leur législation nationale sur la protection des renseignements personnels. Cela n’a pas toujours été possible, en raison de la divergence des normes de protection des renseignements personnels entre les administrations. Des mesures visant à harmoniser les lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels avec les normes internationales permettraient de réduire cette friction.

Recommandation 8.8 (Coopération internationale) : La coopération internationale entre les autorités responsables de la concurrence est actuellement limitée par un certain nombre de facteurs. Une telle coopération doit être approfondie pour tenir compte du fait que les entreprises fonctionnent à une échelle mondiale, et que les actions dans un pays peuvent avoir des effets significatifs dans d’autres.

Conclusion

Le présent mémoire illustre l’expérience du Bureau dans l’application ou le contrôle d’application de la Loi. Le Canada est confronté à de réels défis dans son cadre de politique de la concurrence. Le Bureau est d’abord et avant tout un organisme d’application de la loi. Les domaines d’amélioration indiqués dans le présent document tiennent compte des frictions réelles que le Bureau rencontre dans l’application quotidienne de la Loi.

Le Canada a besoin d’un examen exhaustif de la Loi pour déterminer à quoi devrait ressembler le droit canadien de la concurrence au XXIe siècle. Le Bureau appuie un examen accessible et inclusif qui s’adresse à un vaste groupe d’intervenants.

Cette consultation est une étape importante. La modernisation de nos lois en fonction de la réalité d’aujourd’hui permettra de mieux protéger et promouvoir des marchés concurrentiels au profit de tous les Canadiens ainsi que la prospérité économique à long terme du Canada. Les homologues internationaux travaillent rapidement à renforcer leurs propres outils pour promouvoir et protéger la concurrence dans leurs administrations.

Le Canada ne peut se permettre d’être complaisant.

La concurrence permet de maintenir des produits et des services abordables pour les Canadiens et de développer l’économie. Des marchés concurrentiels sont le fondement de la prospérité continue du Canada. La préservation de la concurrence dans l’économie canadienne devrait demeurer l’objectif principal du cadre de politique de la concurrence du Canada. Toutefois, ce cadre doit être actualisé. L’inaction va nuire à l’économie à long terme. Le Canada a besoin de plus de concurrence maintenant.

Résumé des questions et recommandations

  1. L’objet de la Loi
    • Recommandation 1.1 (Disposition de déclaration d’objet) : La modification de la disposition de déclaration d’objet risque de modifier fondamentalement la Loi, de bouleverser des décennies de jurisprudence établie et de menacer la capacité du Bureau de protéger les consommateurs et les entreprises d’une conduite anticoncurrentielle. La Loi devrait conserver son objectif actuel, soit de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans la poursuite d’un large éventail d’objectifs économiques.
  2. Examen du fusionnement
    • Recommandation 2.1 (Exception relative aux gains en efficience) : La Loi peut permettre des fusionnements anticoncurrentiels lorsque les avantages privés du fusionnement l’emportent sur le préjudice économique plus large du fusionnement. L’exception relative aux gains en efficience devrait être éliminée, et les gains en efficience devraient plutôt être considérés comme un facteur lors de l’examen des effets des fusionnements.
    • Recommandation 2.2 (Critère de concurrence) : L’exigence de prouver qu’un fusionnement concentré est susceptible de nuire à la concurrence n’est pas une utilisation efficace des ressources judiciaires, commerciales ou du secteur public. Des présomptions structurelles devraient être adoptées pour simplifier les cas de fusionnement en déplaçant le fardeau sur les parties fusionnantes, en les obligeant à prouver pourquoi un fusionnement concentratif n’aurait pas pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.
    • Recommandation 2.3 (Norme de prévention) : Les normes établies à partir de l’analyse des industries plus traditionnelles ne sont pas adaptées à l’évaluation des acquisitions de concurrents émergents dans l’économie numérique. Une norme plus fonctionnelle offrirait une plus grande souplesse pour protéger le processus concurrentiel.
    • Recommandation 2.4 (Norme corrective) : La norme corrective établie dans la jurisprudence ne rétablit pas la concurrence aux niveaux d’avant le fusionnement, ce qui permet aux parties fusionnantes d’accumuler une puissance commerciale et de nuire à l’économie. La norme devrait être réexaminée pour s’assurer que les mesures correctives préservent l’état de concurrence antérieur au fusionnement.
    • Recommandation 2.5 (Injonctions) : La possibilité de suspendre temporairement l’achèvement d’un fusionnement en attendant l’issue d’une procédure devant le Tribunal est soumise à des normes juridiques qui ne sont pas pratiques. Ces normes devraient être revues afin de s’assurer qu’il existe une voie viable pour protéger la concurrence à titre provisoire.
    • Recommandation 2.6 (Délai de prescription) : La Loi n’accorde au commissaire que peu de temps pour contester un fusionnement. Le délai de prescription prévu à l’article 97 devrait être prolongé à trois ans.
    • Recommandation 2.7 (Avis) : Certains fusionnements peuvent ne pas être détectés par le Bureau en raison d’échappatoires dans la Loi. Il faudrait combler ces échappatoires dans les exigences relatives à l’avis préalable au fusionnement afin de s’assurer que le Bureau conserve la capacité de détecter et d’examiner les fusionnements économiquement importants qui touchent le Canada.
  3. Abus de position dominante
    • Recommandation 3.1 (Agissements anticoncurrentiels) : La disposition relative à l’abus de position dominante peut permettre aux entreprises dominantes d’échapper à l’examen, même lorsque leur conduite affaiblit la concurrence. Il faut combler cet écart en s’assurant que la disposition tient compte du comportement visant à nuire à la concurrence et non pas seulement du comportement visant à nuire à un concurrent.
    • Recommandation 3.2 (Norme de prévention) : Les normes établies à partir de l’analyse des industries plus traditionnelles ne sont pas adaptées à l’évaluation des comportements anticoncurrentiels visant des concurrents émergents dans l’économie numérique. Une norme plus fonctionnelle offrirait une plus grande souplesse pour protéger le processus concurrentiel.
    • Recommandation 3.3 (Sanctions) : Les sanctions pécuniaires prévues par la disposition sur l’abus de position dominante sont souvent trop faibles pour dissuader efficacement les comportements anticoncurrentiels. Ces sanctions devraient être adaptées afin de s’assurer qu’elles peuvent atteindre leur objectif, à savoir faire respecter la Loi.
    • Recommandation 3.4 (Droits d’accès privés) : L’accès privé au Tribunal n’est actuellement pas disponible pour les affaires d’abus de position dominante. La Loi devrait permettre cet accès.
  4. Collaborations avec des concurrents susceptibles d’examen au civil
    • Recommandation 4.1 (Recours) : Les recours prévus pour les collaborations entre concurrents sont insuffisants. Dans ces cas, des recours prescriptifs visant à rétablir la concurrence et des sanctions administratives pécuniaires devraient être disponibles.
    • Recommandation 4.2 (Accords passés et dommages passés) : Seuls les accords actuels ou proposés entre concurrents, et seuls les dommages actuels ou futurs à la concurrence, sont assujettis à la disposition sur la collaboration entre concurrents. L’article 90.1 devrait être élargi pour tenir compte à la fois des accords passés qui ne sont plus en vigueur et des dommages passés à la concurrence qui ont cessé depuis.
    • Recommandation 4.3 (Gains en efficience) : La disposition sur les collaborations entre concurrents contient une exception relative aux gains en efficience, semblable à celle des dispositions sur les fusionnements, qui est tout aussi incorrecte pour préserver et favoriser la concurrence. Cette exception devrait être éliminée, et les gains en efficience devraient être considérés à juste titre comme un facteur lors de l’examen des effets d’une collaboration entre concurrents.
    • Recommandation 4.4 (Norme de prévention) : Les normes établies à partir de l’analyse des industries plus traditionnelles ne sont pas adaptées à l’évaluation des collaborations entre concurrents qui nuisent aux concurrents émergents dans l’économie numérique. Une norme plus fonctionnelle offrirait une plus grande souplesse pour protéger le processus concurrentiel.
    • Recommandation 4.5 (Notification des ententes de règlement des litiges en matière de brevets pharmaceutiques) : Les ententes de règlement des litiges en matière de brevets pharmaceutiques peuvent nuire à la concurrence, mais peuvent être difficiles à détecter pour le Bureau. La Loi nécessite un mécanisme pour que le Bureau soit avisé de tels accords.
    • Recommandation 4.6 (Droits d’accès privés) : L’accès privé au Tribunal n’est actuellement pas disponible pour les affaires de collaboration entre concurrents. La Loi devrait permettre cet accès.
  5. Cartels : Complot et truquage des offres
    • Recommandation 5.1 (Complots entre acheteurs) : Les complots nuisibles entre acheteurs échappent à l’examen des dispositions de la Loi en matière criminelle. La loi devrait explicitement prévoir la possibilité de poursuite criminelle pour les complots nuisibles entre acheteurs, notamment les accords de fixation des salaires et de non-débauchage.
    • Recommandation 5.2 (Porter à la connaissance d’une personne un système de truquage d’offres) : L’élément « porté à la connaissance » de la disposition de la Loi sur le truquage d’offres ne protège pas suffisamment la concurrence. La Loi devrait établir que l’élément « portée à la connaissance » est une défense qui ne peut être invoquée que lorsque la conduite est directement liée à la présentation d’une seule offre conjointe.
    • Recommandation 5.3 (Amendes) : Les amendes pour les infractions de complots et de truquage des offres sont incohérentes et, pour les complots, insuffisantes pour dissuader les comportements anticoncurrentiels. Il faudrait les rendre cohérentes dans l’ensemble des dispositions et les renforcer afin de dissuader efficacement les comportements manifestement nuisibles des cartels.
  6. Pratiques commerciales trompeuses
    • Recommandation 6.1 (Affichage de prix partiels) : La pratique de l’affichage de « prix partiels », c’est-à-dire la présentation d’un prix à un consommateur, tout en dissimulant les frais obligatoires jusqu’à plus tard dans le processus d’achat, n’est pas explicitement reconnue comme nuisible dans la Loi. Le contrôle d’application de la Loi serait rendu plus efficace si l’on confirmait qu’il s’agit d’une pratique nuisible.
    • Recommandation 6.2 (Prix de vente habituel) : Le commissaire assume le lourd fardeau, en vertu de la disposition sur le prix de vente habituel, de prouver que les rabais annoncés ne sont pas véritables. Le fardeau de preuve pour les questions de prix de vente habituel devrait être inversé, de sorte que les annonceurs assument le fardeau de prouver que les rabais annoncés sont, en fait, véridiques.
    • Recommandation 6.3 (Harmonisation des dispositions pénales et civiles) : Les dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses ne sont pas cohérentes dans la façon dont elles prévoient des recours civils et des sanctions pénales. La Loi devrait prévoir des voies de recours tant pénales que civiles afin de permettre à la gravité de la conduite trompeuse de dicter la façon dont elle est traitée.
    • Recommandation 6.4 (Mesures correctives et sanctions) : Les sanctions pécuniaires peuvent être trop basses et les autres recours peuvent être trop faibles, ce qui rend difficile la conformité à la Loi. Les sanctions pécuniaires devraient être augmentées et la Loi devrait offrir un plus large éventail de recours pour contrer les pratiques trompeuses.
  7. Études de marché
    • Recommandation 7.1 (Pouvoirs de collecte de renseignements pour les études de marché) : Le commissaire n’a pas actuellement le pouvoir de contraindre la production d’information pertinente aux études de marché. La Loi devrait fournir des outils efficaces de collecte d’information pour appuyer cet aspect important du travail du Bureau.
    • Recommandation 7.2 (Réponses aux recommandations) : Les décideurs peuvent ne pas tenir compte des recommandations formulées par le Bureau dans le cadre de ses activités de promotion de la concurrence. Dans la mesure du possible, les organismes de réglementation et les autres organismes gouvernementaux concernés devraient être tenus de donner suite aux recommandations du Bureau dans un délai déterminé.
  8. Questions transsectorielles
    • Recommandation 8.1 (Rapidité du litige) : Les litiges en matière de concurrence au Canada peuvent prendre beaucoup de temps et nécessiter énormément de ressources, ce qui peut prendre plusieurs années. Le litige devrait être simplifié et accéléré dans la mesure du possible, tout en maintenant l’équité procédurale et l’application régulière de la loi, afin que le commissaire et les entreprises privées puissent obtenir rapidement la certitude nécessaire pour fonctionner dans un monde en évolution rapide.
    • Recommandation 8.2 (Attribution de dépens) : Le commissaire, qui agit dans l’intérêt public, fait face aux mêmes risques relatifs aux dépens qu’une partie privée. La Loi devrait explicitement protéger le commissaire contre l’attribution de dépens.
    • Recommandation 8.3 (Collecte de renseignements au civil) : Les exigences procédurales relatives aux pouvoirs actuels du commissaire en matière de collecte de renseignements en vertu de la Loi sont devenues disproportionnées et risquent de retarder indûment les enquêtes. Le commissaire devrait avoir accès à des pouvoirs rationalisés de collecte de renseignements dans les affaires susceptibles d’examen au civil, afin de s’assurer que le Bureau puisse avoir accès aux éléments de preuve pertinents de façon opportune, efficace et simple.
    • Recommandation 8.4 (Collecte de renseignements auprès de personnes étrangères) : Les pouvoirs d’ordonnance judiciaire à l’égard des étrangers sont actuellement limités dans leur application pratique. Ces pouvoirs devraient être précisés afin de protéger la capacité du Bureau de recevoir tous les renseignements nécessaires à l’appui de ses enquêtes d’application de la loi.
    • Recommandation 8.5 (Participation aux interrogatoires) : Les cibles d’une enquête sont actuellement autorisées à assister aux interrogatoires des personnes qui fournissent des renseignements à une enquête du Bureau. Cette disposition devrait être supprimée de la Loi.
    • Recommandation 8.6 (Conformité au consentement) : Le non-respect des consentements ne peut à l’heure actuelle être réglé que sur la base d’une norme pénale. Il devrait y avoir un mécanisme plus accessible pour permettre au commissaire de demander au Tribunal, en vertu de la norme civile de preuve, les ordonnances exigeant la conformité et, le cas échéant, des sanctions administratives pécuniaires.
    • Recommandation 8.7 (Exigences relatives à la permission d’obtenir un accès privé) : La norme applicable aux entreprises pour obtenir la permission d’avoir des droits d’accès privés au Tribunal peut être trop élevée, ce qui signifie que la plupart des entreprises qui demandent cette permission ne satisfont pas en fin de compte aux normes établies dans la Loi. Le critère pour obtenir des droits d’accès privé devrait être examiné pour s’assurer que les entreprises peuvent obtenir une permission appropriée.
    • Recommandation 8.8 (Coopération internationale) : La coopération internationale entre les autorités responsables de la concurrence est actuellement limitée par un certain nombre de facteurs. Une telle coopération doit être approfondie pour tenir compte du fait que les entreprises fonctionnent à une échelle mondiale, et que les actions dans un pays peuvent avoir des effets significatifs dans d’autres.

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