Mémoire du Bureau de la concurrence en réponse à la consultation sur l’Étude socio-économique et environnementale sur la refabrication et les autres processus de conservation de la valeur au Canada

La concurrence dans l’économie circulaire


Le 3 novembre 2021

Table des matières

Aperçu

Le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») est heureux de présenter ce mémoire à Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC ») en réponse à la consultation sur l’Étude socio-économique et environnementale de 2021 sur la refabrication et les autres processus de conservation de la valeur au Canada dans le contexte d’une économie circulaire (l’« Étude »).

En bref, le Bureau recommande l’adoption d’une stratégie nationale qui laisse les coudées franches à la concurrence dans les services après-vente. Une stratégie nationale qui élimine les obstacles à l’entrée et à l’expansion d’entreprises dans les secteurs de la refabrication et autres processus de conservation de la valeur, surtout pour les entreprises indépendantes, offrirait aux consommateurs plus de choix et des prix plus bas. Les acheteurs ou utilisateurs pourraient ainsi bénéficier d’une prolongation rentable de la durée de vie de leurs produits, ou encore de produits « comme neufs ou meilleurs » avec une nouvelle vie complète – dans le cas de la refabrication. Dans l’un ou l’autre cas, des mesures visant à accroître la concurrence dans les services après-vente pourraient contribuer à la réalisation des objectifs d’une Stratégie pancanadienne et du Plan d’action visant l’atteinte de zéro déchet de plastique.

Introduction

Le Bureau félicite ECCC pour avoir commandé l’Étude comme premier pas vers la mise en œuvre d’une Stratégie pancanadienne et du Plan d’action visant l’atteinte de zéro déchet de plastique, par l’élaboration d’une stratégie nationale pour favoriser la refabrication et les autres processus de conservation de la valeur (PCV) au Canada.

Les PCV sont définis comme des « activités, généralement de type production, qui permettent de mener à terme et/ou de prolonger potentiellement la durée de vie d’un produit au-delà de la durée de vie prévue habituelle. Ces processus comprennent la réutilisation directe, la réparation, le reconditionnement, le reconditionnement complet et la refabricationNote de bas de page 1. » Une stratégie nationale pour éliminer les obstacles au développement des PCV au Canada pourrait promouvoir la concurrence, surtout dans le cas des PCV pris en charge par des entreprises indépendantes – c’est-à-dire des organisations ou des entreprises qui ne sont pas affiliées aux fabricants d’équipement d’origine (les « FEO »).

Le Bureau, en tant qu’organisme d’application de la loi indépendant, veille à ce que les entreprises et les consommateurs canadiens prospèrent dans un marché concurrentiel et innovateur. Dans le cadre de son mandat, le Bureau fait la promotion et se porte à la défense des avantages de la concurrence selon le principe directeur que la concurrence est la meilleure façon d’améliorer les choix, de faire baisser les prix et de stimuler l’innovation dans l’économie canadienne.

Les preuves qui s’accumulent sur l’effet néfaste de la pollution plastique sur la santé humaine et l’environnementNote de bas de page 2 étayent l’argument selon lequel les PCV offrent des possibilités sociales, économiques et environnementales qui pourraient également engendrer des avantages favorables à la concurrence.

Pour chacun des secteurs ciblés, l’Étude identifie les obstacles à une plus grande participation aux activités de PCV et propose une stratégie pour surmonter de tels écueils. Considérant que certains de ces obstacles empêchent ou dissuadent l’entrée ou l’expansion d’entreprises dans les activités de PCV, le Bureau est d’avis que la mise en œuvre d’une stratégie nationale visant à éliminer ou à atténuer ces obstacles pourrait offrir plus de choix, créer une concurrence plus vive dans les activités de PCV et profiter aux consommateurs et entreprises du Canada.

S’inspirant des leçons tirées des activités de promotion de la concurrence du Bureau relativement au « droit de réparer »Note de bas de page 3, le présent mémoire souligne comment une stratégie nationale proconcurrentielle peut profiter

  1. aux entreprises indépendantes en renforçant leur capacité de livrer concurrence dans le secteur de l’après-vente, et
  2. aux clients ou consommateurs en élargissant leurs choix.

La stratégie nationale devrait promouvoir la capacité des entreprises indépendantes de livrer concurrence

Les marchés qui permettent aux entreprises qui exercent des activités de PCV de se livrer concurrence avec efficacité, en contestant les prix et les offres de service d’entreprises déjà présentes, vont sans doute produire des résultats nettement meilleurs pour les acheteurs que ceux qui s’y refusent. Dans un marché concurrentiel, on s’attend à ce que les FEO, les revendeurs autorisés et les entreprises indépendantes se livrent une concurrence plus vive pour ce qui est de la prestation de produits ou services, qu’ils soient neufs ou issus de PCV.

Comme mentionné dans l’Étude, la dynamique concurrentielle entre les entreprises indépendantes et les FEO est centrale lorsqu’on se penche sur les produits et services issus de PCVNote de bas de page 4. Par exemple, les entreprises indépendantes n’ont pas nécessairement accès aux spécifications de conception des équipements d’origine. Souvent, cela signifie qu’elles consacrent un effort important à la rétro-ingénierie des conceptions avant la refabrication. Cela nécessite des compétences particulières en ingénierie, souvent durement acquises par des ingénieurs et des techniciens ayant fait leurs preuvesNote de bas de page 5. Ceci est particulièrement vrai lorsque les produits deviennent plus complexesNote de bas de page 6.

Dans son rapport de 2018, le Groupe international d’experts sur les ressources (GIER) du Programme des Nations Unies pour l’environnement a souligné que le désir des FEO d’empêcher la concurrence des produits issus de PCV et des producteurs tiers qui utilisent les PCV est l’un des facteurs clés qui entravent la croissance des PCVNote de bas de page 7. Ce rapport soulignait que les FEO ont le haut du pavé dans le système de PCV à durée de vie complète puisqu’ils détiennent la propriété intellectuelle, les spécifications de conception du produit et les renseignements de localisation pour obtenir le produit ou la pièce qui sont requis pour les activités de PCVNote de bas de page 8. Les FEO concurrents qui souhaitent limiter les activités de tiers dans le marché sont reconnus pour retenir ces importants renseignements, empêchant en fin de compte le développement plus complet des PCVNote de bas de page 9.

En 2017, l’Australian Competition and Consumer Commission(« ACCC ») a réalisé une étude de marché de l’industrie automobile qui a mis au jour des problèmes de concurrence, surtout quant à l’accès aux outils, aux pièces de rechange et à l’information requise pour effectuer des travaux de réparationNote de bas de page 10. Plus tôt cette année, l’ACCC a réalisé une étude de marché sur la machinerie agricole qui confirmait ces mêmes problèmes de concurrence, ainsi que les difficultés liées à l’opération de certaines machines agricoles avec des pièces de rechange non fournies par les FEONote de bas de page 11.

En 2019, la Federal Trade Commission des États-Unis (« FTC ») a organisé un atelier sur les restrictions en matière de réparation et a sollicité les commentaires de consommateurs, d’entreprises indépendantes, de fabricants et d’autres intervenantsNote de bas de page 12. Au cours de cet atelier, la FTC a recueilli des preuves que les fabricants et les revendeurs peuvent, sans justification raisonnable, restreindre la concurrence dans les services de réparationNote de bas de page 13. Parmi ces restrictions, mentionnons :

  • imposer des restrictions physiques;
  • limiter la disponibilité de pièces, de manuels, de logiciels et d’outils de dépannage aux seuls réseaux de réparateurs autorisés par les fabricants;
  • utiliser des conceptions qui rendent les réparations indépendantes moins sécuritaires;
  • limiter la disponibilité de renseignements télématiques (c’est-à-dire l’information sur le fonctionnement et l’état d’un véhicule qui est recueillie par un système contenu dans le véhicule et relayée sans fil à une centrale, souvent le fabricant ou concessionnaire du véhicule);
  • faire valoir des droits de brevet et appliquer des droits de marques de commerce d’une manière illégale ou trop large;
  • dénigrer les pièces non fournies par les FEO et les réparateurs indépendants;
  • utiliser des logiciels de verrouillage non justifiés, la gestion numérique des droits et des mesures de protection technique;
  • imposer des contrats de licence d’utilisation restrictifsNote de bas de page 14.

La résolution de ces problèmes implique que des mesures soient prises à divers niveaux, y compris au niveau de l’application de la loiNote de bas de page 15, et que des changements législatifs et réglementaires soient introduits au niveau fédéral, provincial et territorialNote de bas de page 16. En effet, les obstacles à la capacité des entreprises indépendantes de livrer concurrence dans les activités de PCV pourraient être réduits par les changements tels que celui actuellement envisagé par Innovation, Sciences et Développement économique Canada (« ISDE ») relativement au cadre du droit d’auteurNote de bas de page 17 ou celui au Québec concernant la Loi sur la protection des consommateursNote de bas de page 18.

À ce titre, le Bureau accueille favorablement le fait que l’Étude reconnaisse l’important rôle du gouvernement fédéral en matière de PCV, ainsi que la nécessité d’une approche hautement coordonnée et harmonisée entre les juridictions canadiennesNote de bas de page 19.

Outre la dynamique concurrentielle entre les entreprises indépendantes et les FEO, il est utile de mentionner le rôle central des petites et moyennes entreprises (« PME ») pour stimuler l’innovation et offrir aux consommateurs des produits concurrents et plus de choix en matière de services après-venteNote de bas de page 20. L’Étude souligne l’importance de soutenir activement les PME pour atteindre des objectifs désirables sur les plans environnemental et économique à l’échelle nationale du CanadaNote de bas de page 21, surtout à l’occasion de la reprise après la pandémie.

Enfin, le Bureau reconnaît que les FEO ont peut-être des raisons légitimes de restreindre l’accès aux services après-vente. Ces raisons pourraient être liées à des préoccupations entourant l’innovation, la fiabilité, la sécurité et la protection de la vie privée, par exempleNote de bas de page 22. Compte tenu de la gravité de ces préoccupations, elles devraient être appuyées par des preuves et ne pas être utilisées comme un paravent pour mettre les entreprises hors de la portée de la concurrence.

La stratégie nationale devrait habiliter les consommateurs

Les marchés concurrentiels habilitent les consommateurs en leur permettant de choisir des produits et services qui conviennent le mieux à leurs besoins, à un prix qu’ils sont prêts à payerNote de bas de page 23.

Une stratégie nationale qui élimine les obstacles à l’entrée et à l’expansion d’entreprises dans les activités de PCV, surtout pour les entreprises indépendantes, offrirait aux consommateurs un plus grand choix et des prix plus bas.

Des marchés concurrentiels pourraient accroître le choix des consommateurs entre les nouveaux produits et ceux issus de PCV. Comme mentionné dans l’Étude, les acheteurs ou utilisateurs pourraient bénéficier soit d’une prolongation rentable de la durée de vie de leurs produits, soit de produits « comme neufs ou meilleurs » avec une nouvelle vie complète – dans le cas de la refabricationNote de bas de page 24.

Une grande variété de produits et services peut être particulièrement avantageuse pour les consommateurs et les entreprises. Pour les services de réparation, par exemple, ils pourraient choisir entre l’autoréparation et les services d’un réparateur tiers de confiance. Cela pourrait particulièrement avantager les consommateurs et les entreprises dans les régions rurales et éloignées qui peuvent subir de longs délais d’attente et être confrontées à un accès plus difficile à un réparateur autorisé du FEO comparativement à ceux des régions urbainesNote de bas de page 25.

Le rapport du GIER souligne que les PCV rendent possibles des baisses significatives des coûts puisqu’une grande part des coûts au producteur est compensée par un apport réduit en nouveaux matériaux et des coûts de traitement moindresNote de bas de page 26. À ce titre, les produits et services issus de PCV pourraient potentiellement créer de nouveaux clients et segments de consommateurs, à divers niveaux selon chaque différent PCV, en particulier auprès de clients pour qui les contraintes budgétaires ont pu freiner leur engagement dans ce marchéNote de bas de page 27.

Enfin, la concurrence dans les PCV permettrait aux consommateurs de faire des choix éclairés et de rendre les entreprises responsablesNote de bas de page 28. Pour cette raison, le Bureau préconise des mesures qui favorisent un meilleur accès à des renseignements exacts sur certains aspects pertinents des biens sur lesquels les entreprises pourraient se faire concurrenceNote de bas de page 29.

Conclusion

Le Bureau attend avec impatience les propositions qui seront soumises dans le cadre de la stratégie nationale pour encourager le développement des PCV au Canada. Comme souligné ci-dessus, des mesures visant à réduire les obstacles à l’entrée des entreprises et à accroître la concurrence sur le marché des services après-vente offriraient aux consommateurs plus de choix et des prix plus bas. Les acheteurs ou utilisateurs pourraient ainsi bénéficier d’une prolongation rentable de la durée de vie de leurs produits ou de produits « comme neufs ou meilleurs » avec une nouvelle vie complète – dans le cas de la refabrication. Dans l’un ou l’autre cas, des mesures visant à accroître la concurrence dans les services après-vente pourraient faire avancer les objectifs d’un plan d’action pancanadien visant l’atteinte de zéro déchet de plastique.

Le Bureau collabore avec des organismes de réglementation et des décideurs politiques pour veiller à ce que leurs objectifs en matière de politiques puissent être réalisés tout en maximisant l’intensité de la concurrence. Le Bureau a conçu un guide pour l’évaluation de la concurrence pour aider les décideurs politiques à déceler les enjeux liés à la concurrence à un stade précoce, puis d’utiliser les ressources à leur disposition – notamment le Bureau – pour adapter les politiques adéquatement afin de maximiser les bienfaits de la concurrence pour l’économie.