Mémoire présenté par le Bureau de la concurrence à la Commission de la concurrence de l’OCDE

Table ronde sur les « Droits relatifs aux données des consommateurs et impact sur la concurrence »

Le 12 juin 2020

Sue cette page :

Introduction

  1. Le Bureau de la concurrence du Canada (le Bureau) est heureux de présenter le présent mémoire à la table ronde du 12 juin 2020 sur les « Droits relatifs aux données des consommateurs et impact sur la concurrence », organisée par le Comité de la concurrence de l’OCDENote de bas de page 1.
  2. Dirigé par le commissaire de la concurrence (le commissaire), le Bureau est un organisme d’application de la loi indépendant du gouvernement fédéral du Canada. Le Bureau est chargé, entre autres, d’assurer et de contrôler l’application du droit canadien de la concurrence, la Loi sur la concurrence. Dans le cadre de l’exécution de son mandat, le Bureau veille à ce que les entreprises et les consommateurs canadiens prospèrent dans un marché concurrentiel et innovateur.
  3. Le Bureau est heureux de participer à ce forum important permettant de discuter des expériences de la collecte et de l’utilisation des données des consommateurs par les entreprises, et d’échanger ces expériences. Selon Statistique Canada le marché numérique est le secteur enregistrant la croissance la plus rapide de l’économie canadienne et pèse actuellement pour une plus grande part du PIB canadien que l’extraction de pétrole et de gaz, les secteurs souvent associés à la puissance économique du Canada. Cependant, l’essor rapide de l’économie numérique est un phénomène sans frontières qui exige une collaboration et une coopération étroite entre les organismes de concurrence. Par conséquent, le Bureau axe une part importante de ses activités sur des forums comme celui-ciNote de bas de page 2 pour compléter ses activités intérieures.
  4. Dans le présent mémoire, le Bureau décrit ses initiatives précédentes d’application de la loi et de promotion en lien avec la collecte et l’utilisation des données des consommateurs par les entreprises. Fort de ses expériences d’application de la loi, le Bureau a relevé des situations où les entreprises ont utilisé les données pour exercer une puissance commerciale, mettre des entraves à l’entrée et se livrer à des pratiques commerciales trompeuses. Dans le contexte de la promotion, le Bureau a reconnu des possibilités pour les gouvernements d’adopter des politiques favorables à la concurrence, appuyées par la portabilité des données et les normes de données ouvertes.

Quel est le rôle de l’application du droit de la concurrence?

  1. Les dispositions d’application de la Loi sur la concurrence s’appliquent à la collecte et à l’utilisation de données par les entreprises de quatre principales façons :
    1. Premièrement, l’utilisation par toute entreprise de données d’une façon utile pour les consommateursNote de bas de page 3, notamment le développement de produits personnalisés qui ajoutent de la valeur pour les consommateurs, peut représenter une dimension de la concurrence susceptible d’être pertinente pour l’évaluation des fusions, des ententes entre concurrents et de l’abus de position dominante.
    2. Deuxièmement, la nécessité de disposer de grandes quantités de données des consommateurs pour livrer une concurrence efficace sur un marché peut constituer une entrave à l’entrée susceptible d’être pertinente pour l’évaluation de divers types d’affaires traitant de la concurrence.
    3. Troisièmement, si les entreprises induisent les consommateurs en erreur quant à l’utilisation qui sera faite de leurs données, il y a un risque de soulever des préoccupations en vertu des dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses de la Loi sur la concurrenceNote de bas de page 4.
    4. Enfin, toutes les situations où la collecte et l’utilisation de données permettent la fixation des prix ou d’autres formes de collusion peuvent soulever des préoccupations en vertu des dispositions pertinentes de la Loi sur la concurrenceNote de bas de page 5.
  2. Cette section du mémoire du Bureau se focalisera sur cinq enquêtes récentes menées en vertu de la Loi sur la concurrence pour lesquelles la collecte et l’utilisation de données étaient particulièrement pertinentes. Cette liste d’enquêtes n’est pas nécessairement exhaustive; les dispositions en matière de confidentialité de la Loi sur la concurrence autorisent le Bureau à discuter uniquement des affaires qui ont été rendues publiquesNote de bas de page 6.
  3. En mai 2011, le commissaire a intenté une action pour abus de position dominante contre le Toronto Real Estate Board (TREB). Au moment du dépôt de la demande du commissaire, le TREB avait adopté un ensemble de règles qui restreignaient la communication en ligne et à grande échelle de données sur l’historique des ventes immobilières par ses membres. Le commissaire alléguait que ces restrictions constituaient un agissement anticoncurrentiel qui avait pour effet de diminuer ou d’empêcher sensiblement la concurrence. Au bout du compte, le Tribunal de la concurrence du Canada (le Tribunal) a conclu comme le commissaire que les restrictions imposées par le TREB empêchaient un meilleur accès à des services immobiliers nouveaux et innovateurs, à des annonces contenant des renseignements plus détaillés et à des outils d’analyse innovateurs en ligne. Le Tribunal a ordonné au TREB de lever ses restrictions, permettant ainsi aux courtiers immobiliers membres de publier en ligne des données sur l’historique des ventes immobilières.
  4. De 2013 à 2016, le Bureau a mené une enquête approfondie sur des allégations voulant que Google LLC (Google) se livrait à des pratiques commerciales anticoncurrentielles en contravention de la Loi sur la concurrence. Un volet de cette enquête portait sur une allégation dans le marché voulant que l’accès à une information de qualité supérieure dont jouit Google en raison de son intégration dans l’ensemble de l’écosystème de l’affichage publicitaire en ligne ait permis à Google de se livrer à des pratiques visant à exclure ses rivaux dans chaque segment du marché de l’affichage publicitaire en ligne transigé sur les plates-formes d’échange d’annonces. Au bout du compte, l’enquête du Bureau n’a pas réussi à trouver suffisamment de données probantes permettant de conclure que les pratiques de Google, dans ce contexte, enfreignaient la Loi sur la concurrence.
  5. En janvier 2018, le commissaire a conclu un consentement avec Softvoyage Inc. (Softvoyage) afin de mettre fin à certaines pratiques commerciales qui, selon le commissaire, avaient pour effet de diminuer ou d’empêcher sensiblement la concurrence au Canada. Softvoyage, une entreprise œuvrant dans le domaine du développement de logiciels à l’intention de l’industrie du voyage, incluait des clauses d’exclusivité dans ses ententes contractuelles avec les clients, qui empêchaient ceux-ci d’extraire ou d’utiliser leurs propres données gérées par le logiciel de Softvoyage.
  6. En septembre 2019, le Bureau a lancé une initiative visant à solliciter des renseignements auprès de la communauté des affaires du Canada sur les comportements susceptibles de nuire à la concurrence dans l’économie numérique . Dans le cadre de cette initiative, le Bureau a déterminé que l’accès à d’importants volumes de données des consommateurs peut servir de moteur important de la valeur des consommateurs, mais peut également représenter une entrave à l’entrée et servir de levier permettant aux entreprises d’exclure des rivaux.
  7. En mai 2020, Facebook inc. (Facebook) a accepté de payer une sanction de neuf millions de dollars après que le commissaire eut conclu que l’entreprise avait donné des indications fausses ou trompeuses au sujet de la protection des renseignements personnels des Canadiens. L’enquête du Bureau a conclu que Facebook divulguait ou communiquait les renseignements personnels recueillis par l’entremise de sa plate-forme Facebook et de son application Messenger d’une manière qui ne correspondait pas à ses communications destinées aux consommateurs concernant l’usage des données.
  8. Le fait important à retenir de l’ensemble de ces affaires est que l’application du droit de la concurrence exige bien plus que la théorie. L’application de la loi fondée sur des données probantes est au cœur des activités du Bureau et exige que les décisions du Bureau se fondent sur des preuves crédibles qui sont en mesure de résister à un examen judiciaire minutieux.

Quel est le rôle de la promotion de la concurrence?

  1. Le Bureau s’efforce d’être à l’avant-garde de l’évolution de l’économie numérique. Comme l’a indiqué le commissaire dans la Vision stratégique du Bureau pour 2020-2024 :
    Pour que les consommateurs et entreprises canadiens prospèrent dans l’économie numérique, le Bureau doit constamment saisir les occasions qui se présentent pour encourager la concurrence et l’innovation dans les domaines qui revêtent de l’importance pour les Canadiens. Le Bureau doit prendre des mesures d’application de la loi opportunes et investir dans de nouveaux outils adaptés à l’ère numérique, afin que les Canadiens puissent bénéficier d’une concurrence forte et vigoureuseNote de bas de page 7.
  2. Dans cette optique, le Bureau a mené à bien récemment deux grandes initiatives liées à l’économie numérique. En premier lieu, en 2018, le Bureau a publié un rapport détaillé sur les répercussions potentielles des mégadonnées sur la politique en matière de concurrence au Canada. Ce rapport contribue à la discussion continue sur les moyens de relever les défis liés aux mégadonnées pour stimuler l’innovation et la concurrence dans le marché. Une des principales conclusions que le Bureau a tirées dans ce rapport est que le cadre stratégique canadien actuel en matière de concurrence est suffisamment robuste pour composer avec les défis présentés par les mégadonnées à court terme.
  3. En deuxième lieu, en 2019, le Bureau a organisé un Forum des données auquel ont participé divers conférenciers du monde entier. Cet événement a poursuivi la discussion sur l’ajustement de la politique en matière de concurrence avec l’économie numérique, en mettant l’accent sur les mégadonnées. Le Forum des données a réuni des chefs de file du milieu des affaires et des milieux juridiques et universitaires, ainsi que des représentants des organismes de réglementation fédéraux et des autorités de la concurrence étrangères. Les discussions tenues pendant le forum continuent à façonner la réflexion du Bureau en matière de concurrence au sein de l’économie numérique.
  4. Outre ces deux importantes activités portant sur les mégadonnées, le Bureau prend des mesures actives pour s’assurer que ses capacités suivent le rythme rapide des activités de l’économie numérique. Plus particulièrement, le document du Bureau sur les mégadonnées reconnaît que l’analyse de la concurrence à l’ère numérique « pourraient nécessiter l’usage de nouveaux outils et de nouvelles méthodes qui relèvent de compétences assez spécialisées». Pour relever ce défi, le Bureau a nommé son premier dirigeant principal de l’application numérique de la loi (DPANL). Selon son mandat, le DPANL aidera le Bureau à surveiller l’espace numérique, à cerner et à évaluer de nouvelles techniques d’enquête, ainsi qu’à renforcer les capacités de collecte de renseignements numériques du Bureau.
  5. Outre ces mesures organisationnelles et axées sur les politiques, le Bureau a activement promu une plus grande concurrence dans le secteur des mégadonnées. Ces efforts s’inscrivent dans la vision générale du commissaire en vue de stimuler une culture axée sur la concurrence au Canada, où les organismes de réglementation, les décideurs politiques et le public sont conscients du rôle important que joue la concurrence dans la prospérité de l’économie canadienneNote de bas de page 8. Le reste de cette section se concentre sur trois interventions importantes de promotion de la concurrence qui ont porté sur des questions liées aux mégadonnées.
  6. En 2017, le Bureau a mené à bien une importante étude de marché sur l’innovation axée sur les technologies dans le secteur financier canadien. Bien que cette étude renferme plus de 30 recommandations sur les moyens par lesquels la réglementation du système financier canadien pourrait s’adapter afin de favoriser une plus grande concurrence, l’idée d’un système bancaire ouvert était un domaine prioritaire de l’étude. Dans ce contexte, le Bureau a reconnu que l’adoption de normes d’un système bancaire ouvert pourrait simplifier la comparaison des produits de services financiers pour les consommateurs canadiens et stimuler l’innovation dans le secteur des services financiers.
  7. Misant sur la réussite de l’étude de marché sur les technologies financières, en 2017 et en 2019, le Bureau a présenté des mémoires au ministère des Finances du Canada revendiquant la mise en œuvre d’un système bancaire ouvert et la portabilité des données dans le secteur financier canadien. Outre ces mémoires, des témoins du Bureau ont témoigné devant un comité sénatorial canadien en 2019 pour promouvoir pareillement les avantages d’un système bancaire ouvert et de la portabilité des données.
  8. En novembre 2019, le Bureau a donné des conseils aux consultations menées par la province de l’Ontario pour élaborer une stratégie en matière de données. Le Bureau a fait valoir que la portabilité des données et les normes ouvertes devraient servir de piliers essentiels pour le traitement futur des données du gouvernement et des données de propriété privée à titre de mesure essentielle pour permettre la concurrence.
  9. Le Bureau continuera à mettre un accent particulier sur ses efforts de promotion à l’avenir dans les secteurs liés à l’économie numérique. Cette promotion prendra la forme de la prestation de conseils avant-gardistes aux gouvernements et aux organismes de réglementation sur les moyens de libérer le potentiel concurrentiel et d’assurer à tous les Canadiens les avantages de la concurrence.

Conclusion

  1. Le Bureau est heureux de la possibilité de participer à ce forum. Des tables rondes comme celle-ci constituent un moyen important d’échanger des expériences pour réfléchir aux questions impliquant les principales forces économiques qui façonnent la transformation numérique mondiale.