Table ronde du groupe de travail no 3 de l’OCDE sur la répression pénale des ententes et des soumissions concertées

Le 12 juin 2020

Sur cette page :

Introduction

Au Canada, le truquage des offres et les accords conclus entre concurrents pour fixer les prix, attribuer des marchés ou restreindre la production (complots) sont des infractions criminellesNote de bas de page 1. D’autres formes de collaborations entre concurrents, notamment les coentreprises et les alliances stratégiques, peuvent faire l’objet d’un examen en vertu de la disposition concernant les accords de nature civile qui interdit les accords uniquement lorsque ceux-ci auront vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

Le présent mémoire se focalise sur les dispositions concernant le truquage des offres et le complot criminel (articles 45 et 47 de la Loi sur la concurrence [la Loi], respectivement).

Peines infligées pour complot et truquage des offres

Le truquage des offres est passible d’une amende imposée à la discrétion du tribunal ou d’un emprisonnement maximal de 14 ans, ou les deux. Le complot est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans, d’une amende maximale de 25 millions de dollars, ou les deux.

Des ordonnances d’interdiction peuvent également être imposées aux organismes et aux particuliers dans les affaires de cartel. Outre toute autre peine infligée, une ordonnance d’interdiction imposée en vertu du paragraphe 34(1) de la Loi interdit à une personneNote de bas de page 2 la continuation ou la répétition de l’infraction ou de l’accomplissement, par cette personne ou par toute autre personne, d’un acte qui tend à la continuation ou à la répétition de l’infraction. Cette ordonnance peut également imposer des injonctions de prendre des mesures ou des actions positives pour veiller à la conformité à la loi, notamment la mise en œuvre d’un programme de conformité d’entreprise, la notification des clients de l’ordonnance d’interdiction, et la destitution des personnes impliquées dans l’infraction de leur poste d’influence au sein de l’organisation.

En vertu du paragraphe 34(2) de la Loi, le tribunal peut rendre une ordonnance d’interdiction sans déclaration de culpabilité lorsque le tribunal conclut qu’une personne a accompli, est sur le point d’accomplir ou accomplira vraisemblablement un acte ou une chose constituant une infraction ou tendant à la perpétration d’une telle infraction.

Le Bureau de la concurrence (le Bureau) dispose également d’un vaste éventail d’outils qu’il peut utiliser pour promouvoir la conformité à la Loi. Ces outils, qui comprennent les visites d’information et les lettres d’avertissement, sont exposés dans le Bulletin sur le Cadre d’action pour la concurrence et la conformité.

L’article 36 de la Loi prévoit un droit à une mesure de nature privée pour recouvrir les dommages-intérêts s’il y a eu infraction aux dispositions criminelles de la LoiNote de bas de page 3. Le recouvrement dans les instances intentées en vertu de cette disposition peut être égal à la perte ou aux dommages subis par le plaignant (y compris les dépens engagés par le plaignant relativement à l’instance).

Par ailleurs, le gouvernement fédéral et quelques gouvernements provinciaux et municipaux peuvent exclure les fournisseurs reconnus coupables d’infractions de complot ou de truquage des offres de leurs processus d’approvisionnementNote de bas de page 4.

Processus conduisant à l’imposition de peines criminelles

Le Bureau enquête sur les infractions présumées à la Loi et peut renvoyer des dossiers au Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) à des fins de poursuite.

Les rôles et les responsabilités du Bureau et du SPPC tout au long d’une enquête et d’une poursuite sont officialisés dans le Protocole d’entente entre la commissaire de la concurrence et le directeur des poursuites pénales, le Guide du Service des poursuites pénales du Canada et les Programmes d’immunité et de clémence en vertu de la Loi sur la concurrence (programmes d’immunité et de clémence)Note de bas de page 5. En plus d’orienter le Bureau et le SPPC, ces documents offrent aussi aux intervenants transparence et prévisibilité.

La coordination est facilitée par des réunions périodiques entre les cadres supérieurs des organismes pour discuter de priorités, de ressources et de questions de portée générale.

Lorsqu’ils enquêtent sur une infraction présumée, les agents du Bureau bénéficient des avis juridiques des procureurs. Les enquêteurs du Bureau peuvent utiliser un éventail d’outils d’enquête pour obtenir des preuves dans une enquête, conformément aux dispositions prévues par la Loi et par le Code criminel du Canada (le Code) (perquisitions, fouilles, ordonnances de communication de documents, communication de réponses écrites aux questions, interrogatoires oraux et écoute électronique). En ce qui concerne les demandes d’immunité ou de clémenceNote de bas de page 6, le SPPC a l’autorité exclusive d’accorder l’immunité ou la clémence à une entreprise ou à une personne impliquée dans une infraction en vertu de la Loi. Le SPPC consulte le Bureau et tient compte de ses recommandations, mais peut exercer sa discrétion de façon indépendante pour accepter ou refuser celles-ci. Le SPPC respecte les principes énoncés dans son Guide du SPPC pour décider de conclure ou non une entente d’immunité ou une transaction pénale avec un demandeur.

Lorsque le Bureau possède des preuves de la commission d’une infraction, il peut officiellement renvoyer le dossier au SPPC, y compris formuler une recommandation sur la détermination de la peine. Le SPPC décide si une poursuite est dans l’intérêt public en fonction des critères énoncés dans le Guide du SPPC.

À la suite du renvoi, le Bureau soutient activement la poursuite; toutefois, c’est le SPPC qui porte indépendamment l’affaire. Bien que le SPPC exerce un pouvoir discrétionnaire au sujet de la mesure pertinente à prendre, il consulte le Bureau et tient compte de ses recommandations.

De nombreux dossiers sont réglés au moyen de transactions négociées en matière pénale, qui sont assujetties à l’approbation du tribunal. Les avocats du SPPC ont la responsabilité d’engager toutes les discussions de transaction pénale et de détermination de la peine conformément au Guide du SPPC. Bien que les recommandations du Bureau soient prises en considération dans la négociation des transactions pénales aboutissant à un plaidoyer de culpabilité, elles n’ont pas force exécutoire pour le SPPC ou le tribunal lorsqu’un plaidoyer de culpabilité est présenté au tribunal aux fins d’acceptation.

Si un accusé est condamné après un procès, le SPPC présente des arguments au tribunal concernant la peine qu’il juge appropriée (après avoir pris en considération les recommandations du Bureau). Dans toutes les affaires criminelles au Canada, la détermination de la peine à imposer relève exclusivement du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Les juges ne sont pas liés par les recommandations sur la détermination de la peine et exercent le pouvoir discrétionnaire exclusif de déterminer la peine appropriée en consultant les objectifs et les principes de détermination de la peine énoncés dans la Partie XXIII du Code, ainsi que la jurisprudence applicable.

Le Code énonce les objectifs suivants de détermination de la peine, qui s’appliquent également à d’autres infractions criminelles.

  1. dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;
  2. dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
  3. isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
  4. favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
  5. assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
  6. susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la collectivité.

En outre, le Code énonce un principe fondamental de la détermination de la peine : la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Il déclare également que la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant, et que la peine devrait être semblable à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables.

Le Code cite les facteurs suivants dont le tribunal doit tenir compte lorsqu’il détermine la peine à infliger à une organisation.

  1. les avantages tirés par l’organisation du fait de la perpétration de l’infraction;
  2. le degré de complexité des préparatifs liés à l’infraction et de l’infraction elle-même et la période au cours de laquelle elle a été commise;
  3. le fait que l’organisation a tenté de dissimuler des éléments d’actif, ou d’en convertir, afin de se montrer incapable de payer une amende ou d’effectuer une restitution;
  4. l’effet qu’aurait la peine sur la viabilité économique de l’organisation et le maintien en poste de ses employés;
  5. les frais supportés par les administrations publiques dans le cadre des enquêtes et des poursuites relatives à l’infraction;
  6. l’imposition de pénalités à l’organisation ou à ses agents à l’égard des agissements à l’origine de l’infraction;
  7. les déclarations de culpabilité ou pénalités dont l’organisation — ou tel de ses agents qui a participé à la perpétration de l’infraction — a fait l’objet pour des agissements similaires;
  8. l’imposition par l’organisation de pénalités à ses agents pour leur rôle dans la perpétration de l’infraction;
  9. toute restitution ou indemnisation imposée à l’organisation ou effectuée par elle au profit de la victime;
  10. l’adoption par l’organisation de mesures en vue de réduire la probabilité qu’elle commette d’autres infractions (p. ex., la mise en œuvre d’un programme de conformité d’entreprise).

Dans le cas des demandeurs de clémence, les programmes d’immunité et de clémence énoncent les facteurs dont le Bureau tiendra compte lorsqu’il élabore ses recommandations sur la détermination de la peine. Pour les organisations commerciales, les variables comprennent une estimation d’amende de base établie en fonction du volume du commerce touché et d’une évaluation du préjudice économique; des circonstances aggravantes et atténuantes, notamment tout crédit à donner pour l’existence d’un programme de conformité d’entreprise efficaceNote de bas de page 7; et le degré de coopération du demandeur de clémence à l’enquête du BureauNote de bas de page 8.

En ce qui concerne les particuliers, à la demande de la première partie à demander la clémence qui est une organisation commerciale, le Bureau recommandera qu’aucune accusation distincte ne soit portée à l’encontre de ses administrateurs, dirigeants, ou employésNote de bas de page 9. Cependant, les administrateurs, dirigeants et employés actuels et anciens de la deuxième partie à demander la clémence ou de toutes parties ultérieures peuvent faire l’objet d’accusations.

Le Bureau tient compte de diverses considérations lorsqu’il formule des recommandations sur la détermination de la peine pour des particuliers. En font partie le rôle et le degré de participation de la personne à l’infraction, le degré auquel la personne a profité personnellement de l’infraction (p. ex., avancement, augmentations de salaire, primes au rendement, etc.), le fait que la personne ait ou non été sanctionnée pour des infractions au Canada ou dans un autre pays.

Emprisonnement

Bien que la Loi prévoie un emprisonnement maximal de 14 ans, les tribunaux canadiens n’ont pas imposé de peine d’emprisonnement pour une infraction de complot ou de truquage des offres depuis plus 20 ansNote de bas de page 10. Les particuliers se sont vu infliger des peines avec sursisNote de bas de page 11 (parmi les conditions imposées, mentionnons la détention à domicile, le couvre-feu et les travaux communautaires). Il semblerait toutefois que les membres de cartels courent le risque croissant d’être incarcérés au Canada.

À la suite de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés (2012), les juges ne peuvent plus imposer de peine avec sursis aux personnes reconnues coupables d’infractions de complot ou de truquage des offres. Toutes les peines d’emprisonnement imposées par le tribunal doivent être purgées en prison.

De plus, une décision rendue en novembre 2018 par la Cour d’appel du Québec (R. c. Fedele) envoie un message clair que le tribunal prend très au sérieux les infractions de truquage des offres, en particulier celles qui ciblent les marchés publics, et que ces infractions justifient une peine d’emprisonnement obligatoire.

En l’espèce, le procureur de la Couronne provincial a déposé diverses accusations de fraude et de contrefaçon contre l’accusé. Le juge de première instance a reconnu trois personnes coupables de ces infractions et les a condamnés à une peine avec sursis allant de 18 mois à 24 mois moins un jour, à purger dans la collectivité. Le procureur de la Couronne provincial a interjeté appel de ces peines. La Cour d’appel du Québec a, par conséquent, invalidé les peines d’emprisonnement dans la collectivité et a condamné les accusés à une peine d’emprisonnement allant de 18 à 36 mois.

La Cour d’appel a conclu que le juge de première instance avait eu tort de minimiser la gravité des crimes commis et que les peines avec sursis étaient incompatibles avec les principes de condamnation publique, de dissuasion et de dénonciation. Elle a soutenu que la fraude à l’égard de marchés publics est particulièrement répréhensible en raison de la menace qu’un tel comportement présente pour la crédibilité des établissements politiques et sociaux et le risque qu’il mine la primauté du droit. La Cour a déclaré :

« Les conséquences très graves, à la fois financières et sociales, d’un système organisé de collusion dans l’octroi de contrats de travaux publics requièrent l’imposition de peines qui démontrent que des tels systèmes ne seront ni banalisés ni tolérés par les tribunaux. »

Si le Bureau obtient des preuves impliquant des personnes dans une activité criminelle, il n’hésitera pas à recommander au SPPC, le cas échéant, que ces personnes soient accusées et, advenant leur déclaration de culpabilité, qu’elles soient condamnées à une peine d’emprisonnement. Le Bureau estime que pour parvenir à une dissuasion efficace, les personnes doivent composer avec la perspective très réelle d’une incarcération.

Coopération internationale

Le Bureau dispose d’un éventail d’outils et de mécanismes pour faciliter et favoriser la coopération avec ses homologues étrangers. Ses arrangements et accords de coopération concernant l’application du droit de la concurrence s’appliquent aux dispositions criminelles aussi bien qu’aux dispositions civiles de la Loi. Ces instruments fournissent les mécanismes officiels qui favorisent explicitement l’échange d’information et d’avis officiels, sauf lorsque la loi l’interdit ou qu’un tel échange est contraire aux intérêts nationaux importants. En vertu de l’article 29 de la Loi, la communication de renseignements obtenus dans le cours d’une enquête, notamment les renseignements fournis volontairement ou obtenus à la suite de l’exercice de pouvoirs officiels, est autorisée « dans le cadre de l’application ou du contrôle d’application de la présente loi ». Cela permet que soient communiqués à un homologue étranger des renseignements jugés confidentiels en vertu de la Loi lorsque le but de la communication est l’application ou le contrôle d’application de la Loi (p. ex., lorsque la communication d’une telle information ferait progresser une enquête particulière).

Lorsque des renseignements confidentiels sont communiqués à un organisme étranger, le Bureau prend des mesures rigoureuses pour protéger la confidentialité desdits renseignements. Le Bureau ne divulguera pas à un organisme étranger chargé du contrôle d’application de la loi l’identité d’un demandeur d’immunité ou de clémence ni les renseignements obtenus de ce demandeur, sans le consentement de celui-ci; cependant, comme il est exposé dans les programmes d’immunité et de clémence, on s’attend des demandeurs qu’ils donnent ce consentement en l’absence de raisons impérieuses.

Les mécanismes précités s’appliquent aux dispositions criminelles et civiles de la Loi. Dans les affaires criminelles, le Bureau peut également s’appuyer sur les Traités d’entente judiciaire. Le traité d’entente judiciaire et sa loi habilitante, la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, autorisent les organismes d’application de la loi, dont les organismes de la concurrence, à présenter une demande officielle d’assistance pour obtenir et transmettre des preuves liées à des affaires criminelles, en fournissant, par exemple, des documents ou en exécutant des demandes de perquisitions, de fouilles et de saisies. La Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle renferme aussi des dispositions concernant l’admissibilité au Canada d’éléments de preuve obtenus à l’étranger.

Pour obtenir de plus amples renseignements sur la coopération internationale du Bureau dans les enquêtes sur les cartels, se reporter à la contribution du Canada au Forum mondial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la concurrence, « Improving International Co-operation in Cartel Investigations » (en anglais seulement).