Mémoire au ministère des Finances du Canada : système bancaire ouvert

Le 11 février 2019

Sur cette page :

  1. Introduction
  2. Les mérites d’un système bancaire ouvert
  3. Mise en œuvre et gestion des risques
  4. Conclusion

I. Introduction

  1. C’est avec plaisir que le commissaire de la concurrence par intérim (commissaire par intérim) présente ce mémoire en réponse au document du ministère des Finances du Canada (Finances Canada) intitulé « Examen des mérites d’un système bancaire ouvert » (document de consultation).
  2. Le Bureau de la concurrence (Bureau), sous la direction du commissaire de la concurrence, assure et contrôle l’application de la Loi sur la concurrence (Loi) et est responsable de veiller à ce que les entreprises et les consommateurs canadiens prospèrent dans un marché concurrentiel et innovateur. L’article 125 de la Loi confère au commissaire le pouvoir de présenter des observations en ce qui concerne la concurrence aux offices, commissions ou autres tribunaux fédéraux. C’est dans ce contexte que le commissaire par intérim remet le présent mémoire.
  3. Le commissaire par intérim applaudit les efforts déployés par Finances Canada pour consulter les Canadiens sur les mérites d’un cadre de système bancaire ouvert. Comme il est expliqué plus en détail ci-après, le système bancaire ouvert a le potentiel de générer d’importants avantages pour les consommateurs et les entreprises grâce à une concurrence et à une innovation accrues dans le secteur financier au Canada.

II. Les mérites d’un système bancaire ouvert

  1. Les points de vue du Bureau sur les mérites d’un système bancaire ouvert sont énoncés en détail dans sa Présentation d’octobre 2017 au ministère des Finances du Canada intitulée « Mesures stratégiques possibles pour soutenir une économie forte et en croissance : préparer le secteur financier du Canada pour l’avenir » (voir les paragraphes 21 à 32) et dans son Rapport d’étude de marché dans le secteur des technologies financières de décembre 2017 (voir la recommandation 9 et les pages 76 et 77)Note de bas de page 1.
  2. En bref, la recherche du Bureau souligne de faibles niveaux d’adoption des technologies financières au Canada par rapport à d’autres pays, ainsi qu’un engagement limité des consommateursNote de bas de page 2, qui s’explique en partie par des frictions associées à la comparaison des offres et au changement de fournisseurNote de bas de page 3. Ces facteurs sont des symptômes d’un marché qui ne fonctionne pas à son plein potentiel. Les banques seraient forcées à travailler plus fort pour attirer des clients, et les consommateurs auraient accès à un plus vaste éventail de services, si les avantages de la technologie étaient davantage exploités grâce à un système bancaire ouvert.

a. Avantages de la portabilité et de l’interopérabilité des données

  1. Ces observations ne sont pas uniques au secteur financier. La transformation numérique a fait en sorte que les données constituent désormais un apport précieux pour de nombreux nouveaux produits et services. Cependant, les consommateurs n’ont pas toujours la capacité d’assurer le partage de leurs données de manière sécuritaire et efficace entre les fournisseurs de services, et ces derniers ne bénéficient pas toujours des incitatifs qui permettent aux consommateurs de le faire.
  2. C’est ce qui a amené certaines autorités à établir la portabilité et l’interopérabilité des données comme moyen pour stimuler l’innovation et donner aux consommateurs un meilleur contrôle de leurs données personnelles. Bien que cette tendance soit récente, les avantages potentiels pour la concurrence et la productivité pourraient être grands. Par exemple, une étude demandée par le Royaume-Uni (anglais seulement) estime que la mobilité des données personnelles à l’échelle de l’économie pourrait accroître le PIB du Royaume-Uni d’au moins 27,8 milliards de livres sterling (48,5 milliards de dollars canadiens).
  3. En termes généraux, la « portabilité des données » peut être comprise comme une caractéristique qui permet aux utilisateurs de prendre leurs données personnelles d’une plateforme et de les transférer de manière sûre sur une autre plateforme. Par ailleurs, le terme « interopérabilité » fait référence à la capacité de différentes plateformes à interagir entre elles, généralement grâce à des interfaces de programmation d’applications (IPA) et avec le consentement de l’utilisateurNote de bas de page 4. Les deux concepts s’appliquent de concert pour accroître la capacité de l’utilisateur à tirer le maximum de ses données personnelles à l’échelle des services concurrents ou complémentaires.
  4. Le système bancaire ouvert peut être perçu comme une application précise de ces idées. Par exemple, une portabilité et une interopérabilité accrues des données mises en place grâce à un système bancaire ouvert pourraient faciliter :
    • La comparaison des offres : Les consommateurs de services financiers pourraient choisir d’utiliser des outils de comparaison de prix personnalisés pour les aider à comparer les offres des différents fournisseurs de services financiers, puis trouver la ou les options qui leur conviennent le mieux en fonction de leur historique d’utilisation actuel. Cette méthode pourrait stimuler la concurrence en réduisant les coûts liés à la recherche.
    • Le changement de fournisseur : Le système bancaire ouvert pourrait faciliter le changement de fournisseur par l’automatisation des transferts de comptes ainsi que des paiements préautorisés et des débits. Il pourrait également fournir aux consommateurs des méthodes plus pratiques de gérer les comptes auprès de plusieurs fournisseurs. Cette méthode pourrait stimuler la concurrence en réduisant les frictions associées au changement de fournisseur ou au recours à des fournisseurs multiples.
    • De nouveaux services innovateurs : Le système bancaire ouvert pourrait également ouvrir la porte à une variété d’applications nouvelles ou améliorées ciblant les besoins des consommateurs, comme l’établissement d’un budget et des outils de regroupement de comptes permettant aux consommateurs d’assurer de manière sûre le suivi de leur information financière auprès de l’ensemble des fournisseurs de services à l’aide d’une seule interface.
  5. Il ne s’agit là que de quelques-uns des avantages favorables à la concurrence que procure le système bancaire ouvert et qui sont reconnus dans le document de consultation.
  6. Bon nombre de ces avantages sont actuellement constatés au Royaume-Uni. Par exemple :
    • Dix-sept millions d’appels d’API réussis (anglais seulement) (une mesure du rendement utilisée pour vérifier l’utilisation du système bancaire ouvert) ont été rapportés par l’organisme de surveillance du système bancaire ouvert du Royaume-Uni en novembre 2018, une augmentation correspondant à près de 10 fois le nombre d’appels réussis rapportés en juin 2018.
    • Plus de 100 entités réglementées se seraient inscrites (anglais seulement) au cadre de système bancaire ouvert du Royaume-Uni depuis sa mise en place l’an dernier, et plus de 100 attendent leur tour pour s’inscrire.
    • L’Autorité de la concurrence et des marchés du Royaume-Uni estime prudemment (anglais seulement) que les réformes visant un système bancaire ouvert qu’elle a mises en place généreront des avantages économiques directs se situant entre 150 millions et 250 millions de livres sterling par année (260 millions à 440 millions de dollars canadiens). En plus de ces gains directs, elle s’attend à « des avantages dynamiques considérables... grâce à la pression accrue exercée sur les banques afin qu’elles améliorent la qualité de leur service, qu’elles innovent et qu’elles offrent des prix concurrentiels ».
    • Une enquête réalisée par PwC (anglais seulement) révèle que l’on s’attend à ce que près de 71 % des petites et moyennes entreprises et près de 64 % des adultes adoptent le système bancaire ouvert au Royaume-Uni d’ici 2020.

Bien qu’il soit encore tôt pour se prononcer, ces résultats initiaux sont encourageants et laissent entendre qu’il existe un fort potentiel de demande pour les services bancaires ouverts.

III. Mise en œuvre et gestion des risques

  1. Malgré les avantages favorables à la concurrence décrits précédemment, le Bureau est fortement d’accord avec la déclaration énoncée dans le document de consultation, à savoir que : « Pour qu’un cadre de système bancaire ouvert réalise ses bénéfices potentiels, il doit obtenir la confiance des clients en ayant des mesures appropriées de protection des consommateurs et de la vie privée et en assurant la sécurité et la robustesse du secteur financier ». En effet, la confiance est une assise fondamentale des marchés concurrentiels et innovateursNote de bas de page 5 et elle s’avérera essentielle à la participation des consommateurs et des entreprises au système bancaire ouvert.
  2. Cela signifie que les enjeux comme la protection de la vie privée et des données et la concurrence ne doivent pas entrer en conflit. À titre d’exemple, en Australie, l'Office of the Australian Information Commissioner (anglais seulement) a exprimé son appui à l’égard du système bancaire ouvert, déclarant ceci : « M’exprimant de façon générale, j’appuie fermement les initiatives qui visent à offrir aux personnes plus de choix et de contrôle sur la manière dont leurs données sont utilisées. Je reconnais également les objectifs stratégiques importants de l’examen du système bancaire ouvert en Australie [...], entre autres le fait de veiller à ce que les personnes puissent utiliser leurs données pour pouvoir obtenir des services financiers améliorés ou nouveaux, accroître la concurrence et stimuler l’innovation » [traduction]. De la même façon, au Royaume-Uni, l'Information Commissioner’s Office (anglais seulement) a déclaré qu’elle « perçoit le système bancaire ouvert comme un élément clé par lequel les droits des personnes à l’égard de la portabilité des données [...] peuvent être réalisés concrètement » [traduction].
  3. En outre, le document de consultation reconnaît, avec raison, qu’un cadre de système bancaire ouvert solide peut servir à atténuer certains risques existants, par exemple, en éloignant les consommateurs et les entreprises des applications de capture de données d'écran moins efficaces et moins sûres actuellement utilisées pour regrouper les données financières des consommateurs. De telles méthodes, qui s’appuient sur le fait que les consommateurs communiquent à des tiers leurs identifiants de connexion à leur compte personnel, exposent les consommateurs à de grands risques (anglais seulement) pour leur sécurité par rapport à d’autres méthodes plus sûres comme des IPA de système bancaire ouvert.
  4. Le document de consultation reconnaît également à juste titre que certains des risques pour la protection des données et de la vie privée associés au système bancaire ouvert ne sont pas propres à un tel système, mais découlent de la transformation numérique et d’une utilisation commerciale accrue des données de manière plus générale. Le Bureau appuie donc les efforts de Finances Canada pour tenir compte d’autres initiatives gouvernementales, y compris les initiatives en cours qui visent à renouveler ou à moderniser les grands cadres de protection des données et de la vie privée au Canada.
  5. Si le système bancaire ouvert est mis en place, l’élaboration de normes techniques présentera également une occasion pour Finances Canada de veiller à ce que le cadre soit supervisé et mis en place de manière à créer des conditions équitables et à réduire le risque d’abusNote de bas de page 6.
  6. Enfin, de manière générale, étant donné que bon nombre de ces problèmes ont été vécus par d’autres instances dans le contexte de leurs propres initiatives bancaires, le Bureau encourage Finances Canada à consulter ces instances dans l’optique de définir des pratiques exemplaires et des éléments qui pourraient d’être harmonisés.

IV. Conclusion

  1. Le commissaire par intérim se réjouit de l’occasion qui lui a été donnée de fournir ces points de vue sur les mérites d’un système bancaire ouvert. Comme l’explique le présent mémoire, le système bancaire ouvert a le potentiel de générer d’importants avantages pour les consommateurs et les entreprises grâce à une concurrence et à une innovation accrues dans le secteur financier au Canada.