Mémoire à l’OCDE : sanctions imposées dans les affaires antitrust

Le 19 octobre 2016

Résumé

La Loi sur la concurrence (« la Loi ») du Canada prévoit les sanctions applicables à certaines pratiques anticoncurrentielles. Le Bureau de la concurrence du Canada (« le Bureau ») est responsable de l’administration et de la mise en application de la Loi. Au Canada, seuls le Tribunal de la concurrence ou les tribunaux judiciaires sont habilités à déterminer s’il y a eu violation de la Loi et, dans l’affirmative, quelles sont les sanctions applicables.

Les modifications apportées à la Loi en 2009 ont eu pour effet de renforcer les sanctions applicables à certaines pratiques anticoncurrentielles. Parmi les sanctions possibles figurent désormais des sanctions administratives pécuniaires pour abus de position dominante ainsi que des amendes plus sévères (imposées aux entreprises et aux personnes physiques), et des peines d’emprisonnement pour les pratiques de cartel, dont la fixation des prix, l’attribution des marchés, la restriction de la production, ainsi que des peines d’emprisonnement plus sévères infligées pour truquage des offres. La Loi prévoit également un droit privé d’action relativement à des actes qui contreviennent aux dispositions pénales de la Loi ou qui transgressent une ordonnance du Tribunal ou une ordonnance judiciaire.

Le Bureau encourage aussi l’observation volontaire de la Loi en ayant recours à d’autres instruments de règlement et en faisant la promotion des programmes de conformité d’entreprise dans les milieux des affaires et de la justice.

1. Introduction

A. Aperçu général du Bureau

Le Bureau de la concurrence du Canada (« le Bureau ») est heureux de présenter ce mémoire dans le cadre de la table ronde sur les sanctions imposées dans les affaires antitrust, lors du 15e Forum mondial de l’OCDE sur la concurrence.

Dirigé par le commissaire de la concurrence (« le commissaire »), le Bureau est un organisme fédéral indépendant d’application de la loi chargé d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la concurrence (« la Loi »)Footnote 1 et de quelques autres lois au Canada. Dans le cadre de son mandat, le Bureau s’emploie à ce que les entreprises et les consommateurs canadiens prospèrent dans un marché concurrentiel et innovateur.

La Loi est un instrument fédéral qui régit en bonne partie la conduite des affaires au Canada. Elle contient des dispositions civiles et pénales ayant pour but de prévenir les pratiques anticoncurrentielles sur le marché. Le présent document met l’accent sur les sanctions possibles pour les pratiques anticoncurrentielles unilatérales, les ententes de cartel et le truquage des offres au Canada.

Les pratiques anticoncurrentielles unilatérales sont assujetties à des mesures d’application de la loi en vertu des dispositions civiles de la Loi. Les accords de cartel (la fixation des prix, l’attribution des marchés ou la restriction de l’offre) et le truquage des offres sont illégaux et font l’objet de poursuites criminelles. D’autres formes de collaboration entre concurrents, comme les coentreprises et les alliances stratégiques, sont susceptibles d’examen en vertu d’une disposition civile de la Loi qui interdit les ententes uniquement lorsqu’elles auraient vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.Footnote 2

Le mandat du Bureau se limite strictement aux enquêtes. Seuls le Tribunal de la concurrence (« Tribunal »)Footnote 3 ou les tribunaux judiciaires sont habilités à déterminer s’il y a eu violation de la Loi et à imposer des sanctions ou rendre des ordonnancesFootnote 4. Le règlement des litiges comporte des procédures distinctes en matière civile et en matière criminelle.

Dans les affaires civiles, le Bureau bénéficie du soutien des Services juridiques du Bureau de la concurrence (SJBC), un groupe d’avocats relevant du ministère de la Justice. Les SJBC fournissent des services et des conseils juridiques et représentent le commissaire lors d'affaires civiles devant le Tribunal de la concurrence et les tribunaux judiciaires.

Le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) est chargé des poursuites judiciaires relatives à des infractions criminelles qui relèvent de la compétence fédérale. Dans les affaires où le Bureau estime qu’il y a lieu de porter des accusations, ce dernier communique au SPPC les éléments de preuve concernant les infractions criminelles présumées ainsi que ses recommandations de poursuite, y compris son avis quant à la peine appropriée. Le SPPC décide alors s’il convient d’intenter une poursuite et détermine la façon de procéder. Le SPPC a la compétence exclusive d’entreprendre des discussions avec l’avocat de l’accusé au sujet du plaidoyer et de la peine. Le Bureau continue à appuyer activement la poursuite, notamment en présentant les faits et en fournissant une analyse à l’avocat du SPPC au cours des discussions concernant le plaidoyer et la détermination de la peine. Le SPPC tient dûment compte des recommandations du Bureau.

Tableau 1 : Litiges et décisions en matière de concurrence au Canada
  Affaires civiles (fusionnements et comportements susceptibles d’examen) Affaires criminelles (cartels et truquages des offres)
Poursuite Services juridiques du Bureau de la concurrence (soutien juridique au Bureau) Service des poursuites pénales du Canada (compétence exclusive dans les affaires qui lui sont renvoyées par le Bureau)
Compétence Tribunal de la concurrence et tribunaux judiciaires Tribunaux judiciaires

Les sanctions prévues par la Loi varient selon la nature du comportement en question. En matière civile, les sanctions administratives pécuniaires (SAP) sont des mesures de redressement visant à promouvoir et à encourager la conformité à la Loi. En revanche, une amende ou une peine d’emprisonnement infligée par un tribunal à la suite d’une déclaration de culpabilité en vertu d’une disposition pénale vise à punir. Ces distinctions seront examinées en détail dans les sections « Comportements susceptibles d’examen au civil » et « Pratiques de cartel » du présent mémoire.

En 2009, les modifications apportées à la Loi ont eu pour effet de renforcer les sanctions et les mesures de redressement prévues pour certaines infractions d’ordre civil et pour certaines infractions criminelles. Des SAP ont été adoptéesFootnote 5 pour abus de position dominante dans tous les secteurs de l’industrie. Avant les modifications, lorsque le Tribunal jugeait que des entreprises avaient abusé de leur position dominante dans un marché, celles-ci n’étaient assujetties seulement qu’à des ordonnances de nature comportementale, qui les obligeaient, par exemple, à mettre un terme aux activités reprochées. Le Tribunal peut désormais ordonner à de telles entreprises de verser une SAP pouvant atteindre 10 millions de dollarsFootnote 6 pour la première occurrence, et 15 millions de dollars pour toute occurrence subséquente. En ce qui concerne les affaires de cartel, l’amende maximale imposée a été portée de 10 millions à 25 millions de dollars et la peine d’emprisonnement maximale, de 5 à 14 ans. Dans le cas des truquages des offres, la peine d’emprisonnement a été également portée de 5 à 14 ansFootnote 7. Ces modifications à la hausse reflètent la reconnaissance, par le gouvernement, de la gravité des pratiques anticoncurrentielles.

Le Bureau applique activement la Loi. Le tableau 2 fournit des données statistiques sur les résultats de certaines enquêtes qu'il a menées au cours des cinq derniers exercicesFootnote 8.

Tableau 2 : Résultats sélectionnés
Mesures 2011‑2012 Total 2012‑2013 Total 2013‑2014 Total 2014‑2015 Total 2015‑2016 Total
Valeur en dollars (millions) des amendes infligées aux sociétés et aux particuliers par les tribunaux judiciaires pour les pratiques de cartel 15,23 M$ 7,86 M$ 55,72 M$ 8,63 M$ 3,14 M$
Nombre de particuliers condamnés en vertu de la Loi sur la concurrence pour des pratiques de cartel 12 10 3 2 2
Nombre de sociétés condamnées en vertu de la Loi sur la concurrence pour des pratiques de cartel 9 7 8 4 7
Ensemble des peines d’emprisonnement combinées (en mois) imposées par les tribunaux judiciaires pour des pratiques de cartel 0 0 0 14 18
Valeur en dollars (millions) des sanctions administratives pécuniaires pour abus de position dominante imposées par le Tribunal de la concurrence ou prévues par les consentements enregistrés auprès du Tribunal de la concurrence 0 M$ 0 M$ 0 M$ 5 M$ 1 M$

2. Comportement susceptible d’examen au civil

A. Cadre législatif

La partie VIII de la Loi renferme plusieurs dispositions qui permettent au Tribunal de sanctionner, au civil, certaines pratiques commerciales qui ont eu ou qui auront vraisemblablement des effets anticoncurrentiels dans un marché. Ces dispositions portent notamment sur le refus de vendre, l’exclusivité, les ventes liées, le maintien des prix, les fusions et l’abus de position dominante.

Les sanctions administratives pécuniaires sont prévues par les dispositions civiles de la Loi et visent seulement l’abus de position dominanteFootnote 9, lequel survient lorsqu’une entreprise dominante ou un groupe d’entreprises dominantes se livre dans un marché à des agissements anticoncurrentiels ayant pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence.

Le paragraphe 79(1) de la Loi définit les éléments de l’abus de position dominante. Les trois éléments suivants doivent être établis pour pouvoir accorder une réparation :

  1. Une ou plusieurs personnes contrôlent sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions (c.‑à‑d. occupent une « position dominante » dans un marché de produits et dans un marché géographique);
  2. cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées à une pratique d’agissements anticoncurrentielsFootnote 10;
  3. la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marchéFootnote 11.

S’il est d’avis qu’une entreprise se livre à un abus de position dominante, le commissaire peut demander au Tribunal de rendre une ordonnance de réparationFootnote 12. Lorsqu’il conclut qu’il y a eu contravention à la disposition sur l’abus de position dominante, le Tribunal peut rendre trois types d’ordonnance, soit une ordonnance interdisant un certain comportement, une ordonnance imposant certaines mesures correctives et une ordonnance prévoyant le versement d’une SAPFootnote 13.

Les ordonnances prononcées par le Tribunal, y compris celles prévoyant des SAP, peuvent faire l’objet d’un appel de plein droit devant la Cour d’appel fédérale (sauf sur une question de fait, dans lequel cas l’appel doit être autorisé par ladite Cour)Footnote 14. La Cour d’appel fédérale peut soit rejeter l’appel, soit rendre la décision qui aurait dû être rendue par le Tribunal, soit renvoyer l’affaire au Tribunal pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriéesFootnote 15. Une décision de la Cour d’appel fédérale peut être portée en appel à la Cour suprême du Canada uniquement si cette Cour en donne l’autorisationFootnote 16.

B. Détermination du montant des SAP

Bien que le montant des SAP imposées au Canada soit établi par le Tribunal et les tribunaux judiciaires, le Bureau formulera des recommandations en vue d’orienter ce processus. La SAP imposée pour un comportement susceptible d’examen, au civil, a pour objet de promouvoir la conformité et non de punir le contrevenant. Pour formuler ses recommandations, le Bureau tient compte des facteurs énoncés au paragraphe 79(3.2) de la Loi.

Le Tribunal doit tenir compte des éléments suivants :

  1. l’effet sur la concurrence dans le marché pertinent;
  2. le revenu brut provenant des ventes sur lesquelles la pratique a eu une incidence;
  3. les bénéfices réels ou prévus sur lesquels la pratique a eu une incidence;
  4. la situation financière de la personne visée par l’ordonnance;
  5. le comportement antérieur de la personne visée par l’ordonnance en ce qui a trait au respect de la Loi;
  6. tout autre élément pertinent.

Parmi les autres facteurs pertinents à prendre en compte, notons, par exemple, la question de savoir si la personne ou les personnes visées par une demande aux termes de l’article 79 avaient mis en place un programme crédible et efficace de conformité d’entreprise au moment de la conduite reprochée. Le Bureau peut tenir compte de l’existence d’un tel programme pour atténuer l’ampleur d’une SAP. Par ailleurs, le Bureau tient compte de ces mêmes facteurs pour négocier un consentement relativement à un abus de position dominante.

Les SAP sont des mesures correctives d’ordre civil et se distinguent des amendes pénales. Le défaut de payer une SAP peut faire l’objet de mesures d’exécution d’ordre civil à titre de dette envers la CouronneFootnote 17. Les amendes sont des mesures de réparation imposées par un tribunal sur déclaration de culpabilité, et le défaut de payer peut entraîner des sanctions supplémentaires, notamment l’emprisonnement.

C. Expérience pratique en matière de SAP

Depuis l’entrée en vigueur des modifications apportées à la Loi en 2009 qui établissaient des SAP pour l’abus de position dominante, des sanctions de cette nature ont été imposées dans deux affaires d’abus de position dominante. Les SAP faisaient partie des mesures de redressement exhaustives négociées et incorporées dans des consentements enregistrés auprès du Tribunal, qui étaient exécutoires au même titre qu’une ordonnance judiciaire. Les deux affaires concernaient le secteur des chauffe‑eau du Canada.

En novembre 2014, Reliance Comfort Limited Partnership (Reliance) a accepté de payer une SAP de 5 millions de dollars, aux termes d’un consentement enregistréFootnote 18. Le consentement remédiait aux préoccupations du Bureau quant aux politiques et aux procédures mises en œuvre par Reliance relativement au retour des chauffe‑eau qui visaient à empêcher les consommateurs de se tourner vers les concurrents. Dans une requête déposée contre Reliance en 2012, aux termes de l’article 79 (abus de position dominante), le Bureau alléguait qu’à la suite de ces politiques et procédures, bon nombre des clients de l’entreprise n’avaient pas d’autre choix que de continuer de louer un chauffe‑eau auprès de Reliance, même s’ils auraient préféré acheter un chauffe‑eau ou retenir les services d’une autre entreprise de location pour faire des économies. Aux termes du consentement, Reliance devait aussi prendre certaines mesures pour que ses clients puissent plus facilement mettre fin à leur entente de location et rendre leur chauffe‑eau à l’entreprise.

En octobre 2015, Direct Energy Marketing Limited (Direct Energy) a également accepté de payer une SAP de 1 million de dollars aux termes d’un consentement enregistréFootnote 19. Le consentement remédiait aux préoccupations du Bureau selon lesquelles l’entreprise s’était aussi livrée à un abus de position dominante en restreignant la concurrence et en limitant le choix des consommateurs sur le marché des chauffe‑eau résidentiels en Ontario. Même si Direct Energy s’était retirée du marché de la location des chauffe‑eau en Ontario en 2014, le Bureau a poursuivi ses démarches en vue de parvenir à un règlement visant l’ancien comportement de l’entreprise et d’encourager la conformité future, en exigeant notamment que Direct Energy établisse un programme de conformité d’entreprise et en assure le bon fonctionnement, au cas où elle pénétrerait de nouveau le marché des chauffe‑eau résidentiels en Ontario au cours des dix prochaines années.

3. Pratiques de cartel

A. Cadre législatif

Parmi les dispositions interdisant les pratiques de cartel au Canada figurent principalement les articles 45 (complot), 46 (directives étrangères) et 47 (truquage des offres) de la Loi. Les parties déclarées coupables de ces infractions sont passibles d’amendes pénales.

L’article 45 interdit les ententes, les arrangements ou les complots entre concurrents ou concurrents potentiels :

  1. soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture d’un produit;
  2. soit pour attribuer des ventes, des territoires, des clients ou des marchés pour la production ou la fourniture du produit;
  3. soit pour fixer, maintenir, contrôler, empêcher, réduire ou éliminer la production ou la fourniture du produit.

L’article 46 interdit à toute personne morale qui exploite une entreprise au Canada d’appliquer une directive étrangère ayant pour objet de donner effet à un accord ou un arrangement intervenu à l’étranger qui, s’il était intervenu au Canada, aurait constitué une infraction à l’article 45. L’article 47 interdit la présentation, en réponse à un appel ou à une demande, d’offres ou de soumissions qui sont le fruit d’un accord entre plusieurs personnes, ou l’accord par lequel au moins l’une de ces personnes consent à ne pas présenter d’offre ou à en retirer une offre qui a été présentée.

L’amende maximale imposée pour l’infraction de complot en vertu de la Loi s’élève à 25 millions de dollars. Les parties déclarées coupables au titre des dispositions sur les directives étrangères et le truquage des offres sont passibles d’une amende à la discrétion du tribunal, dont le montant n’est pas assujetti à une limite maximale en vertu de la Loi. Dans le cas du complot et du truquage des offres, les sanctions susmentionnées s’appliquent aux personnes physiques et aux organisations, dont les personnes morales. Dans le cas d’une infraction liée à une directive étrangère, seule une personne morale peut être déclarée coupable et punie en conséquence. Pour la détermination de la peine imposée pour des infractions en matière de cartel, les décisions récentes utilisent comme point de départ le volume touché du commerce (VTC) pour calculer le montant de l’amende.

Par le passé, l’amende était la sanction la plus courante imposée aux organisations et aux personnes déclarées coupables des infractions en matière de cartel au Canada. Toutefois, pour les infractions en matière de cartel prévues aux articles 45 et 47, en plus des amendes susmentionnées, la Loi prévoit qu’une personne encourt, sur déclaration de culpabilité, un emprisonnement maximal de quatorze ans. Les peines d’emprisonnement pour les infractions de cette nature sont de plus en plus courantes. Au cours de la dernière décennie, les tribunaux canadiens ont imposé des peines d’emprisonnement d’une durée totalisant plus de sept ans. Toutes ces peines étaient des « condamnations avec sursis », soit des peines purgées dans la collectivité, sous réserve des conditions comme la détention à domicile.

En 2012, le Parlement canadien a adopté la Loi sur la sécurité des rues et des communautésFootnote 20. Sous le régime de la nouvelle loi, les juges ne peuvent plus infliger une condamnation avec sursis aux personnes déclarées coupables d’infractions passibles d’une peine maximale d’emprisonnement de quatorze ans (y compris pour les pratiques de cartel au titre des articles 45 ou 47 de la Loi). Les personnes condamnées au sens de l’article 45 ou de l’article 47 de la Loi doivent par conséquent purger leur peine en prison. Le Bureau et le juge en chef de la Cour fédérale ont convenu que les peines d’emprisonnement constituent un outil important et efficace permettant de faire face aux cartelsFootnote 21. Ce n’est qu’une question de temps avant que des comportements postérieurs aux modifications apportées en 2009 à la Loi et à l’entrée en vigueur de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés ne fassent l’objet de poursuites devant les tribunaux et que les peines d’emprisonnement ne deviennent la norme.

B. Établissement du montant des amendes

Les personnes accusées d’infractions criminelles aux termes de la Loi sont jugées et condamnées par les tribunaux judiciaires. Les objectifs et les principes de la détermination de la peine sont énoncés à la partie XXIII du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985 ch. C-46 (le Code criminel)Footnote 22. Le prononcé des peines au Canada a pour principe essentiel la proportionnalité : « [l]a peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. » Le Code criminel énonce également le principe portant sur « l’harmonisation des peines, c’est‑à‑dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables »Footnote 23.

L’objectif essentiel du prononcé des peines en matière pénale diffère de celui des sanctions civiles. Ces dernières visent à promouvoir et à encourager la conformité à la Loi, alors que les peines criminelles visent les objectifs suivants :

  • dénoncer le comportement illégal, dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
  • isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
  • favoriser la réinsertion sociale, assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
  • susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la collectivitéFootnote 24.

Les programmes d’immunité et de clémence

Le Programme d’immunité est l’un des outils les plus efficaces du Bureau qui lui permet de déceler les agissements anticoncurrentiels criminels interdits par la Loi et d’enquêter à leur sujet. Dans le cadre du Programme d’immunité, la première partie à dénoncer une infraction que le Bureau n’a pas encore décelée ou à fournir une preuve menant au dépôt d’accusations peut obtenir l’immunité contre les poursuites dans la mesure où la partie collabore avec le Bureau.

Le Bureau recommande d’accorder la pleine immunité seulement à la première organisation ou au premier particulier qui demande l’immunité dans le cadre du programme. Cependant, d’autres parties aux pratiques de cartel (entreprises ou particuliers) qui se manifestent au sujet de leur responsabilité et qui collaborent avec le Bureau pendant la durée de l’enquête et des poursuites subséquentes peuvent bénéficier de clémence dans la détermination de la peine.

Le Bureau recommandera un traitement de clémence au SPPC au moment de la détermination de la peine lorsque le particulier ou l’entreprise :

  1. a mis fin à sa participation au cartel;
  2. convient de collaborer pleinement et avec promptitude avec le Bureau, et ce, à ses frais, pendant la durée de l’enquête et des poursuites subséquentes intentées par le SPPC contre les autres participants au cartel;
  3. accepte de plaider coupable.

Le Bureau présente la méthodologie utilisée pour faire des recommandations quant à l’amende à imposer dans son bulletin sur le Programme de clémence et la Foire aux questions du ProgrammeFootnote 25.

Le processus de détermination d’une amende ou de toute autre sanction, dans le contexte du Programme de clémence, comporte plusieurs étapes; le Bureau n’est responsable que d’une partie du processus, soit des recommandations présentées au SPPC aux fins de détermination de la peine. Le SPPC tiendra compte de ces recommandations, mais il n’est pas tenu de les suivre. C’est le tribunal qui imposera l’amende, en se fondant sur les dispositions applicables en matière de détermination de la peine mentionnées ci‑après.

Sauf indication contraire qui soit pertinente, convaincante et facilement accessible, le Bureau détermine le montant de l’amende qu’il recommande à l’égard d’un demandeur de clémence en utilisant comme point de départ un indice de 20 p. 100 du volume touché du commerce (VTC) au Canada du demandeur de clémence. Ce chiffre de 20 p. 100 comporte deux volets, à savoir un indice de 10 p. 100 du volume du commerce touché au Canada correspondant à la majoration des prix attribuable à l’activité de cartel et des autres préjudices économiques, et un autre indice de 10 p. 100 destiné à garantir que l’amende est suffisante pour éviter qu’elle ne soit simplement considérée comme un droit à acquitter ou un prix à payer pour faire des affaires. Le montant de l’amende pourra ensuite être ajusté à la hausse ou à la baisse selon la pondération prévue par le Bureau des facteurs aggravants ou atténuants. Dans les cas où l’indice de 20 p. 100 du VTC au Canada du demandeur de clémence est supérieur au montant maximal de l’amende prévu par la loi, le Bureau utilise comme point de départ le montant maximal prévu par la loi.

Les facteurs aggravants et atténuants

Après avoir établi le point de départ indiqué pour une amende, compte tenu du VTC, le Bureau et les tribunaux judiciaires examineront ensuite les facteurs aggravants et atténuants. Les facteurs que prend en compte le Bureau, lorsqu’il fait des recommandations en matière de clémence, et les tribunaux judiciaires, dans le cas d’une détermination de la peine lors d’un processus litigieux, sont énoncés dans le Code criminel. Parmi les facteurs bien établis dans les affaires de cartel, mentionnons les suivants :

  • le degré de complexité des préparatifs reliés à l’infraction et de l’infraction elle‑même et la période au cours de laquelle elle a été commise;
  • les frais supportés par les administrations publiques dans le cadre des enquêtes et des poursuites relatives à l’infraction;
  • toute restitution ou indemnisation imposée à l’organisation ou effectuée par elle au profit de la victime;
  • l’adoption par l’organisation de mesures en vue de réduire la probabilité qu’elle commette d’autres infractionsFootnote 26.

Il est possible de prendre en compte la capacité d’une partie déclarée coupable de payer une amende lors d’au moins deux étapes du processus de détermination de la peine : premièrement, lorsque le Bureau recommande une peine au SPPC à l’égard d’une partie qui collabore dans le cadre de son Programme de clémence; et deuxièmement, lorsque le tribunal détermine la peine à imposer à une partie à l’issue d’une procédure litigieuse.

Dans le cas d’une partie qui collabore dans le cadre du Programme de clémence, l’organisation sera tenue de fournir des renseignements financiers au sujet de ses éléments d’actif et de passif, de ses revenus et de ses capitaux propres avant que le Bureau recommande au SPPC une réduction du montant de l’amende ou un rajustement du calendrier des paiements. Le Bureau peut également demander qu’un comptable indépendant examine les renseignements financiers du demandeur aux frais de ce dernier.

Dans le cas où le tribunal détermine la peine à infliger, le Code criminel prévoit que ce dernier tienne compte de « l’effet qu’aurait la peine sur la viabilité économique de l’organisation et le maintien en poste de ses employés »Footnote 27.

Affaire concernant des composants de véhicules à moteur (faisceaux de câbles)Footnote 28

L’enquête concernant des composants de véhicules à moteur est la plus vaste enquête publique que le Bureau a menée à ce jour sur le truquage des offres. L’enquête porte sur les pratiques adoptées par des fabricants de composants de véhicules à moteur et se poursuit ou a déjà été menée dans plusieurs autres pays, dont les États‑Unis, le Japon, l’Australie, ainsi que dans l’Union européenne. L’exposé conjoint des faitsFootnote 29 déposé dans le cadre de cette affaire montre comment les facteurs décrits ci‑dessus entrent en jeu même dans le contexte d’un plaidoyer de culpabilité. L’affaire a été réglée au moyen du Programme de clémence à la suite d’un plaidoyer de culpabilité et d’une amende de 30 millions de dollars, soit l’amende la plus élevée imposée par un tribunal canadien pour une infraction de truquage des offres. Les faits énoncés dans l’exposé conjoint ont été acceptés par les deux parties et considérés comme ceux dont le tribunal devait être saisi pour pouvoir entériner l’entente de plaidoyer conclue par les parties. L’exposé conjoint des faits fait partie du dossier du tribunal et permet au juge d’invoquer dans ses raisons les faits qui y sont énoncésFootnote 30.

C. Questions pratiques

Comme il est mentionné ci‑dessus, l’établissement de toute amende imposée pour des infractions criminelles en matière de cartel au Canada comporte la participation des ressources judiciaires. Dans le cas d’une peine imposée à la suite d’une déclaration de culpabilité dans le cadre d’un processus litigieux, le tribunal tiendra compte des objectifs, des principes et des facteurs liés à la détermination de la peine qui sont énoncés dans le Code criminel, de la jurisprudence pertinente et des observations de la poursuite et de la défense. Même dans le cas d’un règlement négocié dans le cadre du Programme de clémence du Bureau, le tribunal n’acceptera qu’une amende recommandée conjointement par la Couronne et la partie ayant plaidé coupable, dans la mesure où cette peine ne va pas à l’encontre de l’intérêt public et qu’elle n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

L’article 674 du Code criminel prévoit le droit de porter en appel la déclaration de culpabilité concernant des actes criminels, dont des pratiques de cartel au sens des articles 45 à 47 de la Loi. L’appel peut reposer sur des motifs comportant des questions de droit ou de fait et peut être déposé devant la cour d’appel de la province où l’affaire a initialement été instruite, ou devant la Cour d’appel fédérale, si l’affaire a été instruite par la Cour fédérale. Les décisions des cours d’appel sont susceptibles d’appel, sur autorisation, devant la Cour suprême du Canada.

Il n’y a pas de suspension automatique d’une peine à la suite d’une demande d’autorisation d’appel présentée à une cour d’appel. Suivant le paragraphe 683(5) du Code criminel, la cour d’appel peut, si elle estime que l’intérêt de la justice l’exige, ordonner de suspendre le paiement de l’amende jusqu’à décision définitive sur l’appel. L’« intérêt de la justice » comprend le bien‑fondé de l’appel, l’intérêt de l’État et la confiance et le respect que le public accorde aux tribunaux en matière d’administration du droit criminel.

Une personne condamnée à une peine d’emprisonnement peut demander la mise en liberté en attendant l’appel, conformément à l’article 679 du Code criminel. La personne en question doit établir que son appel est suffisamment justifié pour que sa détention sous garde constitue une épreuve non nécessaire.

D. Recours privés

Aux amendes et aux peines d’emprisonnement vient s’ajouter, au titre de l’article 36 de la Loi, le droit privé d’action à l’égard d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition pénale de la Loi, y compris les dispositions sur les pratiques de cartel. Toute personne ou toute organisation qui a subi une perte ou des dommages par suite d’un tel comportement peut réclamer et recouvrer une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis. Le Bureau surveille les actions intentées par des particuliers qui portent sur des enquêtes en cours ou dans le cadre desquelles les parties souhaitent utiliser les documents du Bureau ou appeler à témoigner des membres du personnel du Bureau.

Les sanctions pénales ont une incidence sur les actions en dommages‑intérêts intentées par des particuliers. En effet, une fois qu’une personne est déclarée coupable d’une infraction criminelle au sens de la Loi, la partie demanderesse dans l’action privée peut utiliser les procès‑verbaux relatifs aux procédures criminelles engagées en vue d’établir une preuve prima facie de l’acte fautif et de ses effets sur elle. Cependant, une action en dommages‑intérêts engagée en vertu de l’article 36 de la Loi est indépendante de toute poursuite criminelle qui a été intentée ou qui peut l’être. En fait, il est possible d’engager une action en vertu de l’article 36 de la Loi même si une poursuite criminelle n’a pas été intentée, en application d’une ou plusieurs des dispositions de la Loi.

E. Autres sanctions

En plus d’être passibles d’amendes, de peines d’emprisonnement et de risquer de faire l’objet d’actions privées en dommages‑intérêts, les parties déclarées coupables des pratiques de cartel aux termes de la Loi peuvent également se voir retirer le droit de conclure des marchés avec différents ordres de gouvernement au Canada. Plus précisément, certains organismes municipaux, provinciaux et fédéraux interdiront aux parties déclarées coupables d’un comportement contraire à la Loi de participer aux appels d’offres.

4. Assurer la conformité

En plus de l’effet dissuasif des sanctions que peuvent imposer le Tribunal ou les tribunaux judiciaires, pour obtenir les meilleurs résultats sur le plan de la conformité, le Bureau s’appuie sur divers instruments de sensibilisation, d’application de la loi et de promotion de la conformitéFootnote 31. Le Bureau utilise d’autres instruments de règlement des cas qui visent à faciliter l’observation volontaire de la Loi. Il s’agit notamment de lettres et de rencontre d’information, ainsi que de lettres d’avertissement.

A. Lettres d’information

Le Bureau envoie parfois des lettres d’information aux entreprises ou aux particuliers pour les prévenir de ses préoccupations à l’égard de possibles contraventions et pour leur rappeler leur obligation de respecter la Loi. Les lettres exposent les exigences particulières de la législation. Elles peuvent être utilisées lorsque le Bureau estime qu’une entreprise ou une personne semble ignorer qu’un type de pratique est problématique.

B. Rencontres d’information

Le Bureau peut organiser une rencontre d’information avec une entreprise ou une personne à un stade de l’enquête où il estime que cette dernière ignore qu’une pratique particulière soulève des préoccupations quant au respect de la Loi. Le Bureau tentera d’inciter l’intéressée à promouvoir la conformité en lui expliquant les dispositions applicables.

C. Lettres d’avertissement

Les lettres d’avertissement sont des avis écrits officiels envoyés à une entreprise ou à un particulier, qui décrivent une contravention présumée à la Loi. Le Bureau avisera expressément le destinataire qu’une mesure plus sévère pourrait être envisagée si le comportement se répète ou n’est pas corrigé. Les lettres peuvent aussi exiger que le destinataire fournisse des renseignements sur la façon dont il entend se conformer à la Loi.

D. Programmes de conformité d’entreprise

Le Bureau encourage aussi, de manière proactive, les entreprises à mettre en place des programmes de conformité visant à prévenir ou à minimiser les risques de contravention à la Loi et, le cas échéant, à déceler les contraventions. En juin 2015, le Bureau a mis à jour son bulletin Les programmes de conformité d’entrepriseFootnote 32 afin de formuler des directives en matière de programmes de conformité d’entreprise crédibles et efficaces. Le Bureau a également mis en place une Unité de conformité qui mène des activités de sensibilisation et de promotion en matière de conformité à l’échelle du pays.

L’existence d’un programme de conformité n’a pas pour effet de protéger une entreprise ou une personne des mesures d’application de la loi. Toutefois, lorsqu’il choisit la manière la plus appropriée de régler des cas, y compris les infractions et les contraventions pour lesquelles la défense fondée sur la diligence raisonnable est invoquée, le Bureau peut tenir compte de l’existence d’un programme crédible et efficace. Par conséquent, les avantages possibles seront plus importants, dans la plupart des circonstances, dans l’examen pour une entreprise qui a déjà un programme de conformité crédible et efficace en place que pour une entreprise qui attend de faire l’objet d’une enquête avant de mettre un programme en œuvre ou de l’améliorer.

Bien que la décision de mettre en œuvre un programme de conformité soit généralement volontaire, le Bureau peut recommander ou demander la mise en œuvre d’un programme dans certaines circonstances, notamment dans le cadre d’une ordonnance d’interdiction, d’une ordonnance de probation, d’un consentement, ainsi qu’en vertu d’autres instruments de règlement. Le Bureau peut également recommander ou demander qu’un agent de conformité indépendant soit nommé et ait la responsabilité de veiller à la mise en œuvre et au fonctionnement du programme de conformité.

5. Conclusions

L’existence de sanctions appropriées à l’égard des pratiques anticoncurrentielles demeure un outil de choix en vue de favoriser la conformité à la Loi. En renforçant en 2009 les sanctions possibles applicables aux termes de certaines dispositions de la Loi, le gouvernement canadien établissait clairement la gravité des pratiques anticoncurrentielles, ainsi que l’effet dissuasif des sanctions. L’adoption de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés en 2012 indiquait aussi, sans équivoque, qu’au Canada, les personnes qui se livrent aux pratiques de cartel seront tenues responsables de leurs actes. Les sanctions font partie des efforts déployés par le Bureau pour éliminer les pratiques anticoncurrentielles et pour favoriser la conformité à la Loi. Parallèlement à ses activités d’application de la loi, le Bureau a renforcé ses efforts de sensibilisation et de promotion visant à informer les intervenants de leurs obligations et à prévenir ainsi les pratiques anticoncurrentielles. Le Bureau adopte une approche concertée en matière de conformité, tenant compte du rôle que lui‑même, les consommateurs et les milieux des affaires et de la justice ont à jouer.